RUGBYRAMA 🔵 Segonds : « La tournée avec les Bleus m’a fait énormément de bien pour basculer après la transformation ratée »
Décisif lors des deux matchs à Jean Dauger, Joris Segonds nous a accordé un long entretien en début de semaine. Pendant près d’une demi-heure, l’ouvreur est revenu sur les raisons de sa signature à Bayonne, a évoqué la fin de son aventure à Paris et la première sélection qu’il a connue en Argentine cet été. Il a aussi raconté la pression inhérente au rôle de buteur et s’est projeté sur le voyage à Bordeaux, samedi.
Il y a plus d’un an, vous décidiez de vous engager à l’Aviron bayonnais pour la saison 2024-2025. Pourquoi avoir fait ce choix aussi tôt ?
Je vivais ma cinquième saison au Stade français Paris. Bayonne, il y a deux ans, m’avait déjà proposé un contrat de cinq ans. J’étais en fin de contrat à Paris, nous n’étions qu’au début de la saison, mais je n’avais pas eu de proposition pour prolonger. L’Aviron était très intéressé et m’a refait une proposition pour cinq ans. Ça montrait leur engagement. J’ai pesé le pour et le contre, j’ai mûrement réfléchi, et pour moi, la décision de rejoindre Bayonne était la meilleure. Mine de rien, le fait d’avoir signé dès l’été 2023 m’a permis de penser à autre chose, de me focaliser sur la saison avec Paris et de faire une grosse saison avec les gars. Je ne suis pas un tricheur, je voulais bien finir avec le club et mes amis. J’ai découvert le Top 14 avec beaucoup de joueurs à Paris. C’était un devoir de bien terminer avec eux et aujourd’hui, je ne regrette pas du tout d’avoir signé à l’Aviron jusqu’en 2029.
Comment vit-on une dernière année dans un club en sachant déjà , avant même le début du championnat, qu’on s’en ira au mois de juin ?
C’est particulier. D’un côté, c’est rassurant, car je savais que la saison prochaine, j’avais un club. J’ai connu beaucoup de joueurs qui, à deux ou trois mois de la fin de la saison, ne savaient pas ce qu’ils feraient. On a beau dire ce que l’on veut, mine de rien, dans la tête, c’est compliqué à gérer. En signant à Bayonne, ça m’a enlevé un poids. Après, forcément, quand tu as une saison entière à gérer, tu penses forcément à celle d’après. J’ai eu la chance de vivre pleinement ma saison avec le Stade français, je me suis régalé. J’ai réussi à faire la part des choses.
Cet été, Nolan le Garrec vous a imité, puisqu’il s’est engagé à La Rochelle avant même le début du championnat. Quel regard portez-vous sur ces transferts qui arrivent de plus en plus tôt ?
Ça enlève un poids, mais ça peut aussi avoir l’effet contraire. Je connais un peu Nolan et je ne pense pas qu’il trichera, mais il y a des joueurs qui, peut-être, peuvent se dire “maintenant que j’ai signé dans un autre club, je m’en fiche.” Moi, je n’étais pas du tout dans cette mentalité. Ce genre de signature, ça sécurise et ça permet de se consacrer sur la saison qui arrive.
Comment avez-vous vécu votre fin d’aventure au Stade français, avec les circonstances que l’on connaît ?
J’ai, forcément, été très déçu de finir sur un échec et de faire perdre l’équipe en demi-finale sur une transformation. Je l’ai prise pour moi. Sur le moment même, je ne l’ai pas du tout bien vécu. Mine de rien, ça m’a fait mal au cœur de finir comme ça avec les mecs. Après, comme les gars me l’ont dit, c’est la loi du buteur. Certaines sont passées. Là , le poteau nous élimine. Quand ça t’arrive vraiment, ça fait bizarre.
Après ça, vous pensez partir en vacances, mais très vite, un appel de Fabien Galthié change vos plans…
On perd le samedi. On se retrouve tous ensemble, on passe un moment avec nos familles. Nous rentrons à Paris, je vivais alors mes derniers moments avec les mecs. On a un peu fait la fête entre nous et, le mardi soir, Fabien Galthié m’appelle pour que je rejoigne Marcoussis afin de m’envoler pour l’Argentine.
Le prenez-vous comme une bonne nouvelle, quelques jours après cet échec en demi-finale ?
Après la demi-finale, je ne voulais plus entendre parler de rugby pendant au moins un mois. J’avais envie de couper, de me reposer, d’avoir la tête ailleurs. Mine de rien, le fait de partir avec l’équipe de France reste un rêve d’enfant et ça m’a permis de vite basculer sur autre chose, de ne pas forcément trop penser à cette transformation. Mentalement, ça m’a fait le plus grand bien.
En 2021, vous aviez déjà participé à une tournée d’été, sans jouer. Cette fois, dans votre tête, vous partez convaincus que vous allez décrocher une première cape ?
Il y a, bien sûr, l’envie de porter une fois dans sa vie le Coq. Mais lorsque je suis parti, je me suis surtout dit que la tournée allait me faire passer à autre chose, qu’elle me permettrait d’évacuer cette transformation. À l’étranger, je savais que je n’allais pas en entendre parler tous les jours. Ça m’a fait le plus grand bien mentalement.
Aujourd’hui, que gardez-vous de cette tournée, qui s’est déroulée dans un contexte bien particulier ?
Moi, j’en garde un souvenir incroyable. J’ai pu faire mon premier match avec l’équipe de France. C’est un moment qui restera gravé à jamais. C’est un rêve d’enfant de chanter cette Marseillaise, d’avoir le Coq sur le cœur. Certes, il y a eu des histoires qui ont fait énormément de bruit. Ça continue. Cette tournée et ce qui s’est passé pour Medhi Narjissi, ce n’est pas ce qui est arrivé de mieux pour l’équipe de France. C’est délicat.
Malgré ce contexte lourd, sur le plan purement personnel, avez-vous pu prendre du plaisir sur cette tournée ?
Oui, car cette tournée m’a fait énormément de bien pour basculer après la transformation ratée. Une fois rentré en France, j’étais très heureux d’avoir connu un premier match en Bleu. J’étais content, aussi, d’arriver vite à Bayonne. Il a fallu que je m’installe, j’ai repris la saison un peu en retard avec le club. Je ne connaissais pas énormément de joueurs. La tournée m’a permis de repartir sur une nouvelle page.
On sait que ce n’est jamais évident d’arriver en retard dans un nouveau club. Comment l’avez-vous comblé, ce retard ?
Je suis arrivé pour le stage. Ça m’a permis de connaître les mecs en dehors du rugby. L’intégration, niveau rugby, n’a pas été compliquée. Le groupe est top, il vit très bien. Franchement, ça a été facile.
Vous avez signé à Bayonne jusqu’en 2029. Quelles sont vos ambitions ?
Je veux gagner le plus de matchs et, pourquoi pas, atteindre la phase finale un jour. Elles font tant rêver. Ce serait un bel objectif. En tout cas, je suis venu pour ça.
Que pensez-vous de votre début de saison ?
On a gagné de justesse face à Perpignan, mais ça fait quatre points. Contre Montpellier, ça a été compliqué, on fait une bonne première mi-temps. Ensuite, on fait deux erreurs et le MHR nous passe devant. Le plus important, ce sont les quatre points. La pièce bascule du bon côté pour le moment, tant mieux, mais il va falloir se réveiller à l’extérieur. On a pris 50 points à Pau, 30 à Clermont et les deux équipes ont pris le bonus offensif. Il va falloir changer notre visage à l’extérieur.
D’un point de vue personnel, vous avez, à chaque fois, été décisif à Jean Dauger…
Oui, pour le moment, ça s’est bien passé. Mine de rien, avec ce qui s’est passé l’année dernière, je repense un peu aux coups de pied cruciaux à la dernière seconde. Au-delà de ça, je suis bien dans le club et dans la vie. Ça se ressent sur le terrain. Le groupe m’aide énormément. C’est assez facile de se retrouver avec ces mecs-là .
Pouvez-vous nous raconter cette avant-dernière action avec cette claquette pour Sireli Maqala sur l’essai de la gagne ?
On est à six points derrière. Il fallait à tout prix marquer un essai, si possible, entre les poteaux. Il y a un avantage pour nous. Max sert deux fois les avants, on a une assez bonne dynamique, on avance. Je vois Tambwe qui monte en pointe sur moi. Il fallait tenter quelque chose. Au pire, l’arbitre revient à l’avantage. Si je prends le ballon avec les deux mains, je pense que Tambwe se fait un malin plaisir à me mettre une cartouche. Sireli appelle avant même que je reçoive le ballon. La balle atterrit dans ses mains. C’est top. On a eu un peu de chance. La pièce tombe du bon côté, il faut que ça dure.
Derrière ça, vous devez vite vous concentrer, car il y a une transformation à passer…
Mine de rien, les transformations ou pénalités un peu excentrées sur les 15 mètres sont les plus dures. Tout le monde s’attend à ce qu’elles soient faciles, mais des fois, les coups de pied les plus faciles sont les plus compliqués. Elle est passée, ça fait du bien, et on termine sur une bonne séquence défensive, qui nous permet de gagner.
Le rôle de buteur peut faire de vous le héros du match. Comment supportez-vous cette charge au quotidien ?
À partir du moment où on bute, on sait qu’un jour, dans notre vie, on aura cette pénalité de la gagne. On s’entraîne pour ça. On sait que demain, on peut être le héros ou celui qui fait perdre l’équipe. C’est un rôle un peu ingrat, mais je l’apprécie énormément. Je ne me mets pas plus de pression que ça. Ce n’est pas parce que j’ai raté une transformation en demi-finale que je vais me poser 50 000 questions. Au début, tu y repenses car c’est tout frais, mais au final, ça ne me met pas de pression supplémentaire. Des fois, on rate une pénalité à 22 mètres en face des poteaux. Tout le monde dit que c’est une erreur professionnelle. Mais quand tu es seul face au ballon, les gens ne se rendent pas compte de la pression que tu peux avoir. Nous ne sommes pas des robots. Si les pénalités passaient à chaque fois, ça serait trop beau.
L’ascenseur émotionnel lié à ces échecs et ces réussites est-il difficile à gérer ?
Pour moi, il faut garder les pieds sur terre. Ce n’est pas parce que tu mets une pénalité que tu es un héros. Je pars toujours du principe qu’un jour ou l’autre, il y aura un échec et c’est là où il faut rebondir. Pour ça, il n’y a que le travail. Si elle passe, c’est bien, mais il faut aussi s’imaginer qu’elle peut passer à côté et, dans ce cas, le sort du match et les regards seront différents. Dans tous les cas, il faut travailler.
Avez-vous un accompagnement mental Ă ce sujet ?
Non. Je n’ai jamais travaillé avec quelqu’un sur ça. Je pense être assez zen, posé. J’ai la chance de ne pas être stressé. Ça y fait énormément. Si je loupe deux pénalités de suite, je me dis que la troisième sera la bonne. Je ne vais pas me retourner la tête pour un jeu au pied raté.
Quid des réseaux sociaux ?
Je n’y fais pas forcément attention. Même s’ils sont très importants dans la vie actuelle, on voit que c’est facile. Les gens, derrière leur téléphone, insultent ou disent un jour ou l’autre, que tu es le meilleur. Je ne lis pas les commentaires, je ne vais pas trop dessus. Je reste dans ma petite bulle, je fais ma vie. Je ne m’en préoccupe pas trop. […] Des fois, on reçoit des commentaires, oui. D’ailleurs, après la demi-finale, j’ai été assez surpris, car j’ai reçu pas mal de messages positifs. Les gens étaient très gentils avec moi. Après, j’ai bien entendu reçu des insultes, mais ça fait partie du jeu. Je n’y prête pas attention, ça n’a pas changé ma personnalité.
Avec les paris sportifs, le buteur est une cible “facile”…
C’est lié à la communauté en général. Quand je vois que des mecs insultent un footballeur parce qu’il n’a pas marqué un but… C’est la vie. Quand tu es sportif professionnel, il faut passer à côté de ça.
Terminons sur le match de ce week-end. Vous affronterez, samedi, l’UBB, qui semble en grande forme. Qu’avez-vous pensé de leur dernière sortie ?
Je pense que beaucoup de Français ont regardé le match contre Toulouse. Je n’ai pas besoin de vanter le système ou le jeu de l’UBB. C’est une des meilleures équipes du championnat. Dimanche, elle a montré un visage assez impressionnant. Depuis le début de la saison, elle joue de partout, marque le plus d’essais. Je pensais que la finale, où ils ont pris 59 points, allait leur mettre un coup derrière la tête. J’ai l’impression que ça les a reboostés encore plus.
Dès lors, dans quelle optique vous rendrez-vous à Chaban ?
Tout le monde s’attend à ce qu’on prenne une leçon de rugby. Nous, on y va pour jouer un bon match de rugby, on n’a rien à perdre. On ne va pas les regarder. Certes, ils ont des joueurs incroyables à tous les postes, mais c’est à nous d’essayer de rivaliser avec eux. Si on y met l’engagement, tout est possible dans ce championnat.
Se prépare-t-on différemment quand on sait qu’on va être opposé à Mathieu Jalibert, en dix ?
Non, c’est l’équipe avant tout. On ne va pas louer les qualités de Mathieu, on sait que c’est un des meilleurs dix français. Je suis forcément content de jouer face à lui, et j’aurai envie de faire un gros match face à un gros dix. Je veux qu’on ait un bon visage contrairement aux deux derniers déplacements.