RFI 🔵 «Wamè»: le réalisateur sénégalais Joseph Gaï Ramaka nous jette dans «la mer quand elle est agitée»

Gardez-le bien en tête, ce film en noir et blanc, ancré dans les corps des chanteurs, musiciens et danseurs africains, restera aussi ancré dans les esprits des spectateurs à Clermont-Ferrand, au plus grand festival du court-métrage dans le monde. Avec « Wamè », le réalisateur sénégalais Joseph Gaï Ramaka (Lion d’argent à la Mostra de Venise 1997) révèle toute la sagesse cinématographique de ses 72 ans en créant une odyssée africaine folle et majestueuse, à la hauteur de tout l’espoir et la tragédie de notre époque. Entretien.
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RFI : Que signifie le mot « wamè » ?
Joseph GaĂŻ Ramak : C’est difficile de le traduire en un mot. Dans la culture des LĂ©bous, de ce peuple de pĂŞcheurs, avant d’aller en mer, on observe beaucoup la mer quand elle est agitĂ©e. Et la force qui donne sa force Ă la tempĂŞte, ils l’appellent « wamè ». Wamè est donc ce qui fait mouvoir et bouleverser l’ocĂ©an, ce qui provoque les grandes tempĂŞtes.
Le film dĂ©marre avec un homme dans la pĂ©nombre longeant un mur, avec une torche Ă la main. Qu’est-ce que vous voulez Ă©clairer avec Wamè ?
L’obscuritĂ©. Ce que je ne sais pas et ce que je veux dĂ©couvrir.
Vous crĂ©ez des images incroyablement puissantes. Par exemple, tout au dĂ©but, nous voyons des hommes au sol, torses nus, dont les corps, exprimant Ă la fois la force et la fragilitĂ© de l’humanitĂ©, rament jusqu’Ă l’Ă©puisement. Puis surgit une voix rauque qui chante les louanges de l’invincibilitĂ©. Avec votre rĂ©cit imagĂ© universel, vous donnez l’impression de chercher Ă Ă©galer la mythologie grecque. Wamè, est-ce votre odyssĂ©e africaine ?
Oui, je cherche Ă retrouver la force de nos propres mythes et de notre propre rĂ©alitĂ©. Parce que c’est une rĂ©alitĂ© et des mythes humains, cette rĂ©alitĂ© a des rĂ©sonances avec les autres mythes et les autres humanitĂ©s qui peuplent notre monde. VoilĂ ce que je recherche. Ces hommes-lĂ sont le travail que je tente de faire sur les mĂ©moires. Elles viennent du profond de l’ocĂ©an, comme le wamè. Elles nous rappellent et nous ramènent des choses qui se sont passĂ©es dans le temps, Ă la mĂ©moire et Ă la conscience d’aujourd’hui. Pour moi, la vie est un long fleuve qui se transforme quelquefois en tempĂŞte, et il est bien de se souvenir. C’est donc aussi tout un travail sur la mĂ©moire qui part de ces temps oĂą des hommes Ă©taient transportĂ©s dans des cales et qui devaient faire mouvoir eux-mĂŞmes les bateaux, les caravelles, les nĂ©griers qui les transportaient. VoilĂ ce que reprĂ©sentent ces hommes.
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Dans l’histoire, nous nous retrouvons très vite sur un bateau prĂŞt Ă partir pour ce voyage, dont personne ne sait s’il reviendra. Un voyage vers l’autre continent, avec l’espoir pour seul bagage. Un voyage de malheur, d’errance et de folie. Votre point de dĂ©part, c’Ă©tait le malheur, l’errance, la folie de notre Ă©poque aujourd’hui ?
C’est paradoxalement l’espoir. De tout temps, les hommes ont toujours voyagĂ©, voyagĂ© Ă travers l’imaginaire, voyagĂ© rĂ©ellement, mais Ă la recherche de la vie ou d’une vie meilleure ou d’une vie ailleurs. C’est une constance dans l’histoire. Cette histoire est nĂ©e dans les cales d’un bateau, en 1914, dans les cales de E la nave va de Fellini [Et vogue le navire…, rĂ©alisĂ© en 1983 par Federico Fellini], oĂą des hommes Ă©taient lĂ aussi partis vers un ailleurs, vers un rĂŞve… et qui rencontrent des rĂ©fugiĂ©s qu’ils sauvent de l’ocĂ©an. C’Ă©tait en 1914. Ă€ l’Ă©poque, c’étaient des rĂ©fugiĂ©s serbes qui avaient Ă©tĂ© sauvĂ©s par un navire qui devait ramenait les cendres d’une grande cantatrice italienne vers la petite Ă®le lointaine oĂą elle Ă©tait nĂ©e. Ce voyage s’est terminĂ© par des coups de canon et presque personne n’a survĂ©cu, Ă l’exception d’un rhinocĂ©ros qui Ă©tait aussi Ă bord. Ce film est parti de lĂ . Paradoxalement, les choses n’ont pas tellement changĂ©. Aujourd’hui encore, des hommes meurent en mer, très souvent pas très loin des cĂ´tes. Sauf qu’on n’a plus besoin de cuirassĂ© pour les bombarder. On les laisse tout simplement pĂ©rir en mer, vu qu’ils viennent sur de frĂŞles embarcations.
Votre film part de la plage de GorĂ©e, lieu très symbolique de la traite nĂ©grière. Cela sera un voyage plein d’horreur, avec des femmes violĂ©es, des enfants brĂ»lĂ©s vifs… Le chant et la danse, est-ce que c’étaient les seuls moyens de raconter vĂ©ritablement cette histoire ?
Le chant comme la danse, ce sont des expressions du corps. Ce sont des cris du corps. Ils nous permettent de sentir, de comprendre mĂŞme, ce que souvent les mots ne peuvent nous faire comprendre ou nous faire sentir.
Pendant le trajet, la CĂ´te d’Ivoire et la Libye d’aujourd’hui sont Ă©voquĂ©es, mais aussi l’histoire des hĂ©ros massacrĂ©s de Thiaroye, au SĂ©nĂ©gal, en 1944. Autrement dit : vous voulez nous faire comprendre que sans reconnaissance de toutes les souffrances, la paix reste inatteignable.
Oui, c’est bien cela le message. Les histoires de viols, de Libye, de CĂ´te d’Ivoire… ce ne sont pas des histoires que j’ai inventĂ©es. Ce sont des choses qui se sont rĂ©ellement passĂ©es. Ce sont de vrais tĂ©moignages. Je n’ai pas changĂ© un mot. Je n’ai pas changĂ© le pays d’oĂą ils venaient. Je n’ai pas changĂ© l’horreur qu’ils ont racontĂ©e Ă ces hommes qui parcourent les mers pour sauver d’autres hommes. Comme je n’ai pas inventĂ© Thiaroye, comme je n’ai pas inventĂ© tous ces hĂ©ros qui se sont opposĂ©s Ă un moment ou Ă un autre de l’histoire Ă l’injustice. C’est vrai, nous avons besoin de paix. On a toujours eu besoin de paix et lĂ , on en a encore plus besoin aujourd’hui.
C’est un film dans lequel le groupe, cette fusion entre les corps et les esprits, fait naĂ®tre une puissance incroyable. Pour rendre hommage Ă cette pulsation collective, prenons l’exemple du chanteur Mamadou Goo Ba, qui transcende vĂ©ritablement cette histoire. Comment l’avez-vous trouvĂ© ?
Mamadou est un des fondateurs d’un mouvement très ancien au SĂ©nĂ©gal, le Front culturel sĂ©nĂ©galais. Nous sommes convaincus que si l’humanitĂ© a des chances d’ĂŞtre sauvĂ©e, ça sera grâce Ă la culture partagĂ©e.
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