RFI 🔵 Une université britannique cède aux pressions chinoises et suspend ses recherches sur les Ouïghours

L’universitĂ© Sheffield Hallam, au nord de l’Angleterre, est au cĹ“ur d’un scandale diplomatique avec la Chine. Une enquĂŞte de la BBC et du Guardian rĂ©vèle que, sous pression de PĂ©kin, l’universitĂ© a suspendu les recherches de Laura Murphy, spĂ©cialiste de l’esclavage moderne, mais surtout mondialement reconnue pour ses recherches sur le travail forcĂ© des OuĂŻghours en Chine. Des recherches que PĂ©kin considère comme de la propagande anti-chinoise.
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Dans les documents publiés par les deux médias britanniques, on apprend que depuis deux ans, l’université Sheffield Hallam subit des pressions chinoises. Elles débutent en 2021 avec la publication d’un rapport du professeur Laura Murphy. Le rapport portait alors sur le travail forcé des Ouïghours dans l’industrie des panneaux solaires. Un document pour lequel Laura Murphy avait été félicitée par son université. L’ambassade de Chine à Londres dénonce alors un rapport mensonger et lacunaire.
Depuis, les pressions se sont accentuées. Toujours selon l’enquête du Guardian et de la BBC, un courrier interne de l’université fait référence à une déclaration du ministère chinois des Affaires étrangères dénonçant la rhétorique anti-chinoise de Sheffield Hallam. Pékin a bloqué le site internet de l’université sur le sol chinois. Des employés de l’université, basés en Chine, ont également été intimidés et interrogés pendant des heures.
Résultat des pressions, en février dernier, Laura Murphy a, dans le silence des médias, appris qu’elle ne pourrait plus continuer ses recherches sur le travail forcé dans le Xinjiang. Après le tollé causé par l’affaire, elle a finalement obtenu sa réintégration et les excuses de l’université.
« Choquant, mais pas surprenant »
Pour le chercheur allemand de référence, Adrian Zenz, directeur d’études chinoises à la Fondation pour la mémoire des victimes du communisme, cette affaire est choquante, mais par surprenante.
« C’est choquant à cause du caractère flagrant des menaces des services de sécurité chinois sur une institution universitaire occidentale. Choquant aussi parce qu’ils parviennent très simplement à restreindre la liberté des universités occidentales », indique-t-il. « Mais dans le même temps, ce n’est pas surprenant, parce qu’on sait depuis plusieurs années que les universités occidentales sont vulnérables à ce type de pression. Elles dépendent dans une large mesure des étudiants chinois, ou croient en dépendre », analyse le chercheur.
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Des pratiques d’intimidation courantes
Si ce genre d’affaire n’est pas surprenant, il est tout de même assez rare d’avoir autant d’informations sur la façon dont la Chine fait pression. C’est une chance que le cas de Laura Murphy soit aussi public, mais beaucoup d’universités étouffent ce genre d’affaire, ou contestent et disent que ce n’est pas du tout une question de pression, explique Vanessa Frangville, professeure en études chinoises et directrice d’EASt, le centre de recherche sur l’Asie de l’Est à l’Université libre de Bruxelles.
« Si on prend Sciences Po Paris, par exemple, qui il y a quelques années a refusé de recevoir le Dalaï Lama, pour une conférence et qui a dit “non, non, cela n’a rien à voir avec des pressions chinoises”, c’est pourtant tellement évident que ce sont des pressions chinoises. Parce que les accords sont nombreux entre Sciences Po et la Chine. Aucune université n’admettra subir des pressions et plier, mais là Sheffield n’a pas le choix. » Pas le choix, car Laura Murphy a d’abord cherché à poursuivre l’université, elle a donc obtenu des documents sur lesquels elle n’aurait jamais pu mettre la main.
Des pressions qui mettent en péril la recherche
Selon Adrian Zenz, lui aussi victime de campagne d’intimidation pour ses travaux sur les Ouïghours, les pressions se sont accentuées depuis la deuxième moitié du mandat de Xi Jinping, entre 2017 et 2018. Les recherches ont également été rendues plus complexes après le Covid-19 et la fermeture de certaines zones aux chercheurs.
« Ça ne touche pas juste une chercheuse, ça ne touche pas juste une institution, ça touche toute la communauté scientifique internationale ce genre de situation. C’est très grave pour des questions de liberté académique. Ça a un impact sur notre propre connaissance et les informations qu’on peut apporter à des décideurs politiques », s’inquiète Vanessa Frangville de l’Université libre de Bruxelles. Pour elle, ce genre d’affaire peut pousser les chercheurs à ne plus se concentrer que sur des sujets consensuels.
Pour toutes ces raisons, Vanessa Frangville espère que l’affaire de Laura Murphy créera un précédent, et que d’autres universités dénonceront les pressions chinoises. Des pressions que le chercheur Adrien Zenz associe à un phénomène plus large de « répression transnationale ».
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