RFI 🔵 Ultime visite du Japonais Fumio Kishida Ă  SĂ©oul: «Tous les contentieux ont Ă©tĂ© mis sur la table» – Shango Media
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RFI 🔵 Ultime visite du Japonais Fumio Kishida à Séoul: «Tous les contentieux ont été mis sur la table»

Le Premier ministre japonais va partir. Fumio Kishida ne briguera pas de nouveau mandat Ă  la tĂŞte de son parti, le PLD, qui devrait dĂ©signer un nouveau dirigeant fin septembre. D’ici lĂ , le conservateur entend poser un jalon, une dernière visite symbolique. Il a choisi de se rendre Ă  nouveau en CorĂ©e du Sud, ce vendredi 6 septembre 2024. Avec Yoon Suk-yeol, tous deux ont fait du rapprochement entre leurs pays, marquĂ©s par de lourds contentieux mais alliĂ©s de facto, une prioritĂ©. DĂ©cryptage avec Karoline Postel-Vinay, directrice de recherche au Centre de recherches internationales de Sciences Po (Ceri).

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RFI : Le Premier ministre japonais Fumio Kishida, sur le dĂ©part, se rend ce vendredi Ă  SĂ©oul pour deux jours. Selon le porte-parole de son gouvernement, les deux pays sont des « voisins importants l’un pour l’autre et devraient travailler en tant que partenaires sur un large Ă©ventail de questions internationales Â». En quoi les efforts de rapprochement de M. Kishida avec la CorĂ©e du Sud ont-ils consistĂ© depuis son accession au pouvoir ? On parle de dĂ©veloppement du tourisme bilatĂ©ral, est-ce le cĹ“ur du sujet ?

Karoline Postel-Vinay : Non, le principal sujet, c’est la sĂ©curitĂ©. Nous sommes dans un contexte d’hostilitĂ©, de tensions croissantes dans la rĂ©gion. RĂ©cemment, il y a eu deux entrĂ©es, dans le territoire japonais, par l’armĂ©e chinoise. Quand Kishida a pris le pouvoir, il y avait dĂ©jĂ  ce problème, il y avait dĂ©jĂ  un contexte de tensions, et il existe une espèce d’Ă©vidence sĂ©curitaire pour les deux pays. Le fait est qu’on a aussi, actuellement, un prĂ©sident sud-corĂ©en beaucoup plus ouvert au rapprochement avec le Japon et les États-Unis.

Les deux pays figurent parmi les principaux alliĂ©s des AmĂ©ricains en Asie orientale. Ces derniers poussent Ă  ce rapprochement entre Tokyo et SĂ©oul, n’est-ce pas ?

C’est ça, on est vraiment dans une configuration oĂą les États-Unis veulent renforcer ce trio Washington, Tokyo, SĂ©oul. Et ça, en tout cas disons jusqu’aux prochaines Ă©lections amĂ©ricaines, ça devrait rester comme ça. Par ailleurs, M. Yoon, le prĂ©sident sud-corĂ©en, est lui aussi sur cette ligne. Quant au Japon, il a toujours Ă©tĂ© plus ou moins sur cette ligne-lĂ , sans vouloir trop entrer dans la confrontation avec la Chine pour autant.

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Près de 80 ans après la fin de la colonisation japonaise (1910-1945), un traumatisme historique, la hache de guerre est-elle enterrĂ©e ? Il existe un lourd contentieux concernant les femmes corĂ©ennes dites « de rĂ©confort Â», rĂ©duites en esclavage pendant l’occupation nippone. Des hommages avaient par ailleurs Ă©tĂ© rendus au Japon, il n’y a pas si longtemps, sous Shinzo Abe, Ă  des criminels de guerre.

C’est compliquĂ©. Si vous voulez, il n’y a rien de plus brĂ»lant comme actualitĂ©, en Asie orientale, que le passĂ©, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, et mĂŞme l’histoire plus ancienne. C’est vraiment toujours d’une actualitĂ© brĂ»lante au sens oĂą il faut bien comprendre que c’est aussi une ressource politique. C’est-Ă -dire que l’histoire est aussi instrumentalisĂ©e. Il y a le vrai problème de la mĂ©moire des femmes de rĂ©confort en particulier, qui dĂ©passe l’histoire de la Guerre du Pacifique, puisqu’il sous-tend plus largement la question des violences contre les femmes en temps de guerre. Mais il y a aussi un aspect « instrumentalisation Â», par les politiques, de tous bords. Comment dire ? Un nationalisme.

Un nationalisme au sein de la population ?

Dans la population et dans les courants politiques. Moins au sein de la population dans son ensemble, je dirais d’ailleurs.

Dans une frange de la population peut-ĂŞtre plus conservatrice et plus rĂ©visionniste ?

Ceux qui nient la rĂ©alitĂ© historique, ceux qui font vraiment du nĂ©gationnisme, c’est une minoritĂ©, au Japon. Ça a toujours Ă©tĂ© une minoritĂ©. Ça a un peu grandi sous Abe. Franchement, disons plutĂ´t que cette frange a eu plus de voix et de visibilitĂ© sous lui. En nombre, est-ce que ça a grandi ? Bien sĂ»r, un peu. Mais si on regarde les sondages, si on regarde les positions des grands partis politiques, il y a quand mĂŞme un consensus sur le fait qu’il y a eu des crimes de guerre commis dans le passĂ©. Le nĂ©gationnisme est loin d’ĂŞtre un phĂ©nomène majoritaire. Par contre, si je reprends la question des femmes de rĂ©confort, le problème, c’est aussi qu’Ă  l’intĂ©rieur de la sociĂ©tĂ© corĂ©enne, ce problème n’avait pas Ă©tĂ© pris en compte. C’est un vrai problème : quand la première femme sud-corĂ©enne, une ancienne femme de rĂ©confort, s’est exprimĂ©e, elle a Ă©tĂ© reniĂ©e dans la sociĂ©tĂ©, quand mĂŞme. Il ne faut pas oublier que la sociĂ©tĂ© sud-corĂ©enne est très machiste. En fait, par rapport Ă  ce qui est arrivĂ© Ă  ces femmes, parfois Ă  des adolescentes, pendant la Guerre du Pacifique, il n’y avait pas une vĂ©ritable empathie.

Les choses ont changĂ© ? Les choses changent ?

Oui, je pense que les choses changent. Je pense que maintenant, il y a un vrai regard. Dans le monde en gĂ©nĂ©ral, le regard qu’on porte sur les femmes en temps de guerre Ă©volue lentement. En 1945, il y avait des femmes de rĂ©confort partout, dans tous les théâtres de guerre. Ce qui est arrivĂ© aux femmes sur le théâtre de guerre europĂ©en n’intĂ©ressait pas non plus beaucoup les AlliĂ©s, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En fait, les dispositions sur les femmes, vraiment, ça commence seulement dans les annĂ©es 1990 au niveau de l’ONU. Et lĂ , le mouvement suit aussi au Japon, en CorĂ©e du Sud. Encore une fois, on a affaire, en CorĂ©e du Sud notamment, Ă  des sociĂ©tĂ©s qui restent, disons, un peu moins avancĂ©es qu’en Europe sur le respect de la dignitĂ© des femmes, et notamment dans les contextes de conflit, de violence.

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Il existe Ă©galement un contentieux moins connu entre le Japon et la CorĂ©e du Sud en mer, au sujet de ce que les uns et les autres appellent respectivement les positions Dokdo ou Takeshima. Ce conflit territorial est-il soldĂ© ?

Non, il ne l’est pas, et je pense qu’il peut y avoir une solution, qu’il y aura une solution. De toute façon, tous ces sujets de contentieux ont Ă©tĂ© mis sur la table par MM. Yoon et Kishida. L’un et l’autre savaient très bien que si on voulait renforcer l’alliance sĂ©curitaire entre SĂ©oul et Tokyo, il fallait adresser les problèmes historiques nationaux. Et dans ces derniers, il y a les Ă®les. C’est un peu surprenant que Kishida aille Ă  SĂ©oul alors qu’il est dĂ©missionnaire. Il est tout Ă  fait en fin de mandat, et donc sa lĂ©gitimitĂ© est quand mĂŞme très affaiblie. C’est curieux, mais ça procède d’une logique, qui est de faire vraiment avancer ce dossier. Donc je pense qu’on en n’est pas encore Ă  la solution, mais qu’avec les acteurs prĂ©sents, aussi bien en CorĂ©e du Sud qu’au Japon, il y a une volontĂ© d’avancer.

La CorĂ©e du Sud et le Japon, en 2024, sont-ils des partenaires Ă©conomiques, commerciaux, importants, au-delĂ  du tourisme mentionnĂ© ces jours-ci ?

Ils restent des partenaires assez importants. Pas autant que le sont les États-Unis pour chacun des deux pays, mais oui, c’est tout Ă  fait consĂ©quent. Disons que si on veut comparer Ă  des situations qu’on connaĂ®t en Europe, ça paraĂ®t moindre, parce que l’Europe est tellement intĂ©grĂ©e Ă©conomiquement que si on compare n’importe quelle autre relation bilatĂ©rale, on a toujours l’impression que les montants ne sont pas très Ă©levĂ©s. Mais en fait, relativement, l’Asie orientale commence Ă  ĂŞtre assez intĂ©grĂ©e Ă©conomiquement. Et lĂ , on a affaire, hormis la Chine, aux deux principales Ă©conomies de la rĂ©gion.

Dans les enjeux de la rencontre Kishida-Yoon, on parle beaucoup de la CorĂ©e du Nord, qui prĂ©sente entend-on « des menaces croissantes Â» pour le Sud. Mais au-delĂ  de Pyongyang, concernant la Chine, Tokyo et SĂ©oul sont-ils complètement alignĂ©s sur la position Ă  observer vis-Ă -vis de PĂ©kin ?

Oui, lĂ  je crois qu’il y a la reconnaissance du fait qu’il y a un problème Ă  gĂ©rer. Il y a aussi un dialogue trilatĂ©ral qui s’est mis en place avec les États-Unis, assez nourri, et l’idĂ©e d’intĂ©grer les Philippines. Donc, cela rĂ©pond Ă  la logique « Pax Americana Â». Mais parce que la Chine est si proche, il y a quand mĂŞme le souci des deux cĂ´tĂ©s de ne pas entrer en conflit trop violemment avec elle. Avoir un conflit vraiment direct avec la Chine â€“ par exemple, qu’est-ce qu’on fait si la RĂ©publique populaire de Chine, effectivement, envahit TaĂŻwan ? –, ce sont des questions beaucoup plus angoissantes quand on est juste voisins de la Chine.

Suivant votre fil, pensez-vous que SĂ©oul a, prĂ©cisĂ©ment du fait de sa plus grande promoscuitĂ© ne serait-ce que gĂ©ographique avec la RPC, une nuance par rapport Ă  la posture potentiellement plus dure du Japon ?

Je pense que c’Ă©tait vrai avant. LĂ , on parle du prĂ©sident Yoon. Ce qui est sĂ»r, c’est qu’il y a un sentiment anti-amĂ©ricain un peu plus prononcĂ©, en moyenne, en CorĂ©e du Sud, dans la population, et relayĂ© par les partis politiques. Mais l’actuel prĂ©sident est un pro-amĂ©ricain comme on n’en a pas eu depuis un certain temps dans le pays. En vĂ©ritĂ©, il y a un vrai alignement des astres, si on peut appeler ça comme ça, entre les Japonais, les Sud-CorĂ©ens et les AmĂ©ricains. Alors, c’est vrai que de manière gĂ©nĂ©rale, les Japonais ont beaucoup moins de recul par rapport Ă  leur alliance avec les États-Unis, ils en dĂ©pendent Ă  100%. Les Japonais n’ont toujours pas le droit de faire la guerre, ils se l’interdisent par leur Constitution, et donc, le pays est mis dans une position de dĂ©pendance, ce qui est d’ailleurs un vrai sujet d’avenir. De fait, c’est une position de dĂ©pendance plus grande que pour la CorĂ©e du Sud, mĂŞme s’il y a aussi des bases amĂ©ricaines en CorĂ©e du Sud.

Le prĂ©sident Yoon a rappelĂ© rĂ©cemment qu’il avait rencontrĂ© Fumio Kishida onze fois, notamment pour discuter de Pyongyang et du rĂ©gime des Kim. « Quel que soit le dirigeant en charge des affaires de l’État, a-t-il assurĂ©, la coopĂ©ration et la synergie entre les deux pays seront maintenues pour l’avenir. Â» Une alternance Ă  SĂ©oul, ou Ă  Tokyo, pourraient-elles remettre en question le rapprochement en cours ?

C’est certain. La CorĂ©e du Sud reste instable politiquement. Non pas gravement instable, mais comme toutes nos dĂ©mocraties, disons qu’elle est assez agitĂ©e. Et donc Ă©videmment, Yoon ne rĂ©pond que de lui-mĂŞme et de sa ligne. On a eu d’autres prĂ©sidents dans le passĂ© qui Ă©taient beaucoup moins proches de Washington. Dans le passĂ©, certains prĂ©sidents sud-corĂ©ens espĂ©raient gĂ©rer par eux-mĂŞmes la relation avec la CorĂ©e du Nord. C’est ça qui peut varier. Il y a parfois l’idĂ©e, dans certains courants politiques un peu moins Ă  droite, si on peut dire, ou plus Ă  gauche, que seuls les CorĂ©ens peuvent rĂ©soudre leurs problèmes. Et c’est in fine, quand mĂŞme, avec le soutien de la Chine, car la relation de la CorĂ©e du Nord la plus forte dans la rĂ©gion, c’est avec la Chine â€“ et accessoirement la Russie. Il y aurait donc forcĂ©ment un dĂ©calage avec les États-Unis, si les Sud-CorĂ©ens se rapprochaient des Nord-CorĂ©ens. Mais pour le moment, ce n’est pas ça, la ligne de SĂ©oul.

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Il y a quelques annĂ©es, Moon Jae-in, alors prĂ©sident de CorĂ©e du Sud, avait rencontrĂ© le Nord-CorĂ©en Kim Jong-un Ă  la zone dite « dĂ©militarisĂ©e » dĂ©marquant les deux pays (DMZ). Et Ă  la mĂŞme Ă©poque, en 2018, les deux CorĂ©es avaient mĂŞme constituĂ© une Ă©quipe commune de hockey sur glace juste avant les JO d’hiver de Pyeongchang. La sĹ“ur du dirigeant de Pyongyang, Kim Yo-jong, avait par ailleurs traversĂ© la frontière, suscitant un certain engouement dans la population cĂ´tĂ© Sud. Quel regard portez-vous sur les relations inter-corĂ©ennes actuelles dans la pĂ©ninsule ?

Aujourd’hui, bien sĂ»r, les gĂ©nĂ©rations ont passĂ©. Par exemple, il n’y avait encore pas longtemps, il y avait des Sud-CorĂ©ens qui avaient de la famille en CorĂ©e du Nord, il y avait tout un enjeu Ă©motionnel très fort et très vif. Avec le temps qui passe, c’est moins vrai. Les rĂ©fugiĂ©s nord-corĂ©ens au Sud sont quand mĂŞme acceptĂ©s avec moins d’enthousiasme. Mais en mĂŞme temps, il y a une certaine banalisation de l’hostilitĂ© nord-corĂ©enne. Ça reste la mĂŞme nation, une nation coupĂ©e en deux, avec deux sociĂ©tĂ©s assez nationalistes, en vĂ©ritĂ©. Il y a toujours un dĂ©sir. Vous avez aussi des sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es populaires venant nourrir une forme d’imaginaire.

Vous parlez des sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es qui se passent cĂ´tĂ© Nord sous le manteau ?

Je pense plutĂ´t Ă  des sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es sud-corĂ©ennes mettant en scène la CorĂ©e du Nord. Il y a une espèce d’attendrissement, mĂŞme si de plus en plus, il y a une conscience que les deux demi-nations, les deux moitiĂ©s de nation, ont pris des voies très, très diffĂ©rentes, et qu’après toutes ces dĂ©cennies, ça ne donne plus du tout les mĂŞmes sociĂ©tĂ©s. Donc il y a une conscience assez forte qu’on n’est pas les mĂŞmes de chaque cĂ´tĂ© de la zone dĂ©militarisĂ©e. Mais en mĂŞme temps, c’est quand mĂŞme la mĂŞme langue ; les gens sont fascinĂ©s par le fait qu’on parle la mĂŞme langue, qu’on partage les mĂŞmes plats, les mĂŞmes coutumes, le mĂŞme mont sacrĂ©, en Chine aussi (le mont Paektu, ou mont Changbai en Chine, NDLR), etc. Il y a quand mĂŞme une nation commune, voire un imaginaire national commun, je dirais.

Kamala Harris ou Donald Trump, par rapport Ă  ce rapprochement en cours entre CorĂ©e du Sud et Japon, quel impact ?

Énorme. Je pense que rien n’est jamais prĂ©visible avec Donald Trump, et on a vu dans quelle direction il allait. La direction, c’Ă©tait de se retirer militairement. C’est peut-ĂŞtre, sur le long terme, raisonnable, mais la rĂ©gion n’est pas prĂŞte Ă  ça, elle n’est pas prĂŞte Ă  un retrait immĂ©diat et brutal des États-Unis. LĂ , tout le monde â€“ les Sud-CorĂ©ens comme les Japonais, mais d’une certaine manière aussi les Chinois â€“ Ă©tait très prĂ©occupĂ© par ses positionnements. On suppose que Kamala Harris, ce sera certainement la continuitĂ© de ce qu’on a vu avec Biden. Mais ce qu’ils ont en commun, Harris et Trump, dans leur programme, c’est tout de mĂŞme une hostilitĂ© assez forte avec la Chine. Et ça, c’est parfois trop pour les CorĂ©ens comme pour les Japonais. Plus qu’ils ne le souhaitent.

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