RFI 🔵 Michel Barnier à l’Assemblée: retour sur le grand oral d’un Premier ministre éjectable
Dans une ambiance particulière, au sein d’une Assemblée nationale qu’il retrouvait pour la première fois depuis des années, Michel Barnier a effectué sa déclaration de politique générale, ce mardi 1er octobre. Sans vote de confiance à la clé. Son gouvernement, faute de majorité claire, est pour l’instant épargné par l’extrême droite. Il va néanmoins faire face à une première motion de défiance de la gauche dans les prochains jours. Retour sur le discours du du Premier ministre.
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Le chef du gouvernement s’est rendu au palais Bourbon à pied, via la rue de Bourgogne, entouré de plusieurs ministres dont la porte-parole Maud Bregeon, ou encore Laurent Saint-Martin et François-Noël Buffet. L’occasion de serrer quelques mains de passants, de faire quelques photos, avant de rejoindre la cour d’honneur et de retrouver le chaudron de l’Assemblée.
Le Premier ministre est entré dans l’hémicycle vers 15 heures, suivi de la présidente de la chambre, arrivant elle-même sous les roulements de tambours de la garde république, comme le veut la tradition. Yaël Brun-Pivet a lancé la séance en faisant observer une minute de silence pour Philippine, jeune étudiante tuée il y a dix jours à Paris. Les 577 députés se sont exécutés debout.
La parole a ensuite été remise à Michel Barnier, en présence d’une délégation venue de Nouvelle-Calédonie pour cette occasion. Le temps d’entrer enfin dans le détail. « J’ai conscience de la gravité et de l’importance de ce moment pour notre action commune », a-t-il assuré, citant De Gaulle : « Faire beaucoup avec peu, et en partant de presque rien. »
Nous sommes collectivement sur une ligne de crête (…) Nous aurons des choix sérieux et graves à faire avec vous.
Deux grands chantiers : le budget 2025 et la protection de l’environnement
Le chef du gouvernement a énoncé « deux exigences, une méthode et cinq piliers ». « Je dirai la vérité sur la réalité de nos comptes publics et sur l’impact de notre mode de vie sur notre environnement », a-t-il promis, dévoilant ainsi lesdites exigences. On lui promet le couperet ? M. Barnier contre-attaque : « La véritable épée de Damoclès », a-t-il dit, elle est là.
La charge de la dette est aujourd’hui le deuxième poste de dépense de l’État après l’école, a rappelé Michel Barnier. « Nous n’avons pas le choix : notre responsabilité, c’est d’alléger le fardeau. » Et d’avancer une trajectoire : 5% de déficit en 2025, et 3% du PIB en 2029. « Ne nous racontons pas d’histoire, et je ne raconterai pas d’histoire », plaide le chef du gouvernement.
Notre volonté est de ramener le déficit de notre pays à 5% en 2025.
Extrait de la déclaration de politique générale de Michel Barnier
« Trois remèdes », et d’abord, la réduction des dépenses. Elle devra représenter, prévient Michel Barnier, « les 2/3 de l’effort » l’an prochain. Il faut sortir, estime le Premier ministre, du « tout magique ». Mais de préciser qu’il gardera une attention pour « les plus fragiles », ou pour les collectivités territoriales. Cela ne se fera ni « contre elles », ni « sans elles ».
Le chef du gouvernement entend par ailleurs augmenter « l’efficacité de la dépense publique ». C’est là son deuxième « remède ». « Trop souvent, nos concitoyens ont l’impression de ne pas en avoir pour leurs impôts », a-t-il résumé, égrainant les pistes, avant d’en venir au troisième axe de sa réflexion, le plus sensible au sein de l’Assemblée, à savoir la fiscalité.
Michel Barnier l’a dit, et ce n’était pas son seul hommage aux gouvernements précédents : « Les baisses d’impôts depuis sept ans » ont contribué à ses yeux à « redonner de l’oxygène ». Mais il demande aujourd’hui, compte tenu de la situation budgétaire du pays, un effort « ciblé », « limité dans le temps », et enfin « partagé ». Une boussole ? La « justice fiscale ».
Cet effort concernera de « grandes entreprises ». Mais il s’agira également, a-t-il ajouté, d’une « contribution exceptionnelle » demandée aux Français « les plus fortunés ». Et le tout s’accompagnera, promet le Premier ministre, d’une lutte accrue, « dans la durée », contre la fraude fiscale ainsi que la fraude sociale. Il a notamment mentionné les allocations.
Jamais un Premier ministre n’a été contraint par aussi peu de temps pour élaborer un budget.
Barnier promet une grande conférence nationale sur la question de l’eau
Concernant « l’autre véritable épée de Damoclès » planant au-dessus du pays, c’est-à-dire la dette écologique, Michel Barnier a rappelé son engagement ancien, et même une partie de son bilan, du haut de son demi-siècle d’action politique. « Cette priorité m’a accompagné tout au long de ma vie publique », elle sera « au cœur de notre action ».
Et de citer, en guise d’illustration de son combat, « la recommandation d’un homme d’État », et plus précisément un homme de gauche, en la personne de Pierre Mendès France : « Ne jamais sacrifier l’avenir au présent. » Le gaulliste entend faire sienne cette maxime, de la préservation de la biodiversité à l’encouragement de l’économie circulaire.
« Moi je pense qu’on peut faire beaucoup », considère le chef du gouvernement, qui promet de ne rien céder au « fatalisme ». « Je crois depuis longtemps à une économie des solutions », plaide-t-il. « La transition écologique doit être l’un des moteurs de notre politique industrielle », estime M. Barnier, réaffirmant au passage son soutien à la filière nucléaire.
Ce gouvernement poursuivra « résolument le développement du nucléaire », et en même temps celui des énergies renouvelables, a-t-il promis, citant pêle-mêle les biocarburants dans l’aviation et l’innovation pour la géothermie ou pour le solaire. Avec un bémol très personnel : ce faire en « mesurant mieux » les impacts. Dans son viseur : les éoliennes.
Le locataire de Matignon a conclu son plaidoyer pour une accélération de la transition écologique par une touche nouvelle, en proposant l’organisation d’une « grande conférence nationale » consacrée à la question de l’eau, pouvant balayer des thématiques comme la sécheresse et les inondations, les nappes phréatiques, les conflits d’usage et l’envolée des prix.
Moi je pense que mettre la tête dans le sable ou se lamenter n’a jamais permis d’avancer.
La méthode du Premier ministre Michel Barnier, qui entend tout simplifier
Michel Barnier avait découpé son intervention en trois ou quatre blocs. La dernière partie sera ainsi consacrée aux autres enjeux de son passage à Matignon. Mais au préalable, il aura pris le soin d’insister sur la méthode, en garantissant une vraie place au Parlement, qui va contrôler son action comme jamais cela n’avait été le cas depuis les débuts de la Ve République.
« Je souhaite qu’il y ait moins de textes et plus de temps pour en débattre », a exposé le Premier ministre, « prêt à un partage de l’ordre du jour plus important » à l’Assemblée. Rappelant que la loi organique relative aux lois de finances en vigueur avait été, par le passé, le fruit d’une telle ouverture, il a dit souhaiter que cela puisse être le cas sur le handicap.
Respect, même si ce respect n’est pas toujours réciproque.
« J’ai bien entendu les appels à une plus grande représentativité », a glissé le chef du gouvernement dans son développement. Sans pour autant s’engager dans le détail, « je suis prêt, a-t-il assuré, à avancer sur la proportionnelle. » Il s’agit là, de fait, d’une condition sine qua non posée par Marine Le Pen à la durabilité du gouvernement Barnier.
« Écoute, respect et comptes à rendre aux Françaises et aux Français » ; dans cet esprit, M. Barnier en appelle aux partenaires sociaux aussi, leur faisant « confiance » pour s’engager sur l’emploi des séniors, le chômage, les retraites. « Certaines limites peuvent être corrigées », gage-t-il, citant l’usure professionnelle ou encore l’égalité hommes-femmes.
Michel Barnier compte également relancer une journée nationale de consultation citoyenne pour faire remonter de bonnes idées du terrain, en impliquant toutes les mairies du pays, et en s’appuyant sur la puissance d’internet, et ce jusqu’aux Outre-mer, une « partie essentielle de notre pays » avec laquelle il promet, là encore, de relancer « le fil de la concertation ».
L’occasion pour lui d’annoncer que les élections en Nouvelle-Calédonie seront reportées fin 2025, et que le projet de loi constitutionnelle ne sera pas soumis dans l’immédiat au congrès de la Nouvelle-Calédonie. Sur ce sujet précis, « les discussions seront soutenues par une délégation interministérielle », et le président s’exprimera très vite, a-t-on appris.
L’un des mots d’ordre ? La simplification. « Pas que par la loi », précise l’intéressé, mais aussi par la mutualisation ou la déconcentration, etc. « Ce qui marche sera poursuivi », assure Michel Barnier. « Nous allons développer partout une culture de l’évaluation », prévient-il cependant. Et de promettre des fusions, par exemple entre Business France et Atout France.
Dans le même esprit, « nous fusionnerons France Stratégie avec le Haut Commissariat au Plan », a lancé le chef du gouvernement, avant de tacler de manière claire le recours excessif « à des cabinets de conseil privés », là où des fonctionnaires s’avèrent compétents. Il fallait comprendre, dans le contexte actuel, que le Premier ministre visait McKinsey.
Barnier s’engage à ne pas toucher aux acquis sociétaux de ses prédécesseurs
« J’ai entendu que certains avaient des lignes rouges, parfois très rouges d’ailleurs », a souri le locataire de Matignon, avant d’ajouter : « Il se trouve qu’acceptant la proposition du président de la République, j’ai en mémoire mes propres lignes rouges. » C’était le début du troisième blocs de son intervention, consacré en quelque sorte à ses valeurs de gouvernance.
« Il n’y aura aucune tolérance à l’égard de l’antisémitisme et du racisme », a-t-il exposé, comme pour paraphraser Jacques Chirac, cité discrètement à plusieurs endroits de son discours. « Il n’y aura aucune tolérance à l’égard des violences faites aux femmes », du « communautarisme », « aucun accommodement sur la défense de la laïcité », a martelé Michel Barnier.
Autre ligne rouge : les acquis sociétaux. Rappelant sa fierté d’avoir siégé au sein du même gouvernement que Simone Veil, le Premier ministre, issu du camp conservateur, s’est engagé à ne toucher ni au droit à l’interruption volontaire de grossesse, désormais inscrit dans la Constitution, ni au « mariage pour tous », ni même à la procréation médicalement assistée, la PMA.
Une méthode, le dialogue, deux boussoles, les dettes budgétaires et écologiques, et cinq grandes orientations. Michel Barnier a voulu fixer un cap lucide.
Discours de Michel Barnier devant la représentation nationale: propos recueillis par notre envoyé spécial
Par-delà de l’épée de Damoclès, cinq piliers à l’action du gouvernement
Comme pour acter que l’action de ses troupes sera nécessairement limitée compte tenu de la configuration de l’Assemblée nationale, sans aucune majorité claire, le chef du gouvernement avait gardé pour la dernière partie de son discours ce qu’il avait pourtant énoncé dès le début comme étant les « cinq piliers », les « cinq grands chantiers » de son action.
Ces cinq thèmes ne sont de fait pas secondaires ni présentés comme tel. Le premier étant « le niveau de vie des Français », « frappés par la vie chère ». Et Michel Barnier de lancer de vraies annonces, pour « une amélioration dès l’année prochaine ». Il propose la création d’un livret d’épargne dédié à l’industrie, et surtout une revalorisation du smic en novembre.
Nous revaloriserons le smic de 2% dès le 1er novembre prochain.
Le RSA doit être un tremplin et non un filet de sécurité, estime par ailleurs M. Barnier, qui a mentionné aussi l’intéressement des salariés, une concrétisation de la baisse de l’inflation sur les factures d’électricité et au moment de faire ses courses, mais également le logement, notamment neuf ou social, l’alimentation, le secteur agricole, la pêche, les transports…
Deuxième chantier : « L’accès aux services publics de qualité », et en premier lieu l’école, où il s’est notamment arrêté sur l’attractivité des métiers, le soutien aux élèves en difficulté, le service public de la petite enfance et également le remplacement des personnels absents, mentionnant l’idée de faire plus appel aux retraités volontaires sur ce dernier point.
Accès aux services publics toujours en matière de santé où, là encore, Michel Barnier a dévoilé ses intentions, promettant par exemple que le nombre de postes d’internes repartirait à la hausse après le tour de vis de cette année. Il a parlé aussi, entre autres, d’un « programme nouveau, un programme Hippocrate », dans les endroits manquant le plus de médecins.
Questions intérieures, affaires étrangères : les choix du Premier ministre
Les deux chantiers suivants étaient clairement de droite. En matière de « sécurité du quotidien », le Premier ministre a promis de « généraliser la méthode expérimentée pendant les Jeux olympiques et paralympique ». Tous les Français ont besoin d’être rassurés, et notamment de constater une présence plus visible des forces de l’ordre, considère-t-il.
Création de brigades de gendarmerie, simplification des démarches administratives incombant à la police, « lutte implacable contre le trafic de drogue », sanctions plus rapides. Sans surprise ou presque, le chef du gouvernement a fait part de son orientation droitière. Il a même proposé une procédure de comparution immédiate renforcée pour certains mineurs.
Le Premier ministre n’aura pas séduit la gauche en proposant des « peines de prison courtes et immédiatement exécutoires », ou encore en promettant des retenues sur les salaires ou sur les prestations sociales. Il a suggéré néanmoins un « recours plus important aux travaux d’intérêt général », et de « construire réellement » de nouvelles places de prison.
Le quatrième pilier concernait bien sûr l’immigration et sa maîtrise, dont le chef du gouvernement souhaiterait que le sujet relève de « l’intelligence nationale ». Il aura au passage rectifié le tir, en rappelant son attachement « profond » et « définitif » au « respect de l’État de droit », après les propos malheureux de son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau cette semaine.
« Nous ne maîtrisons plus de manière satisfaisante notre politique migratoire », regrette Michel Barnier, qui projette si possible de conditionner l’octroi de visas, de faciliter la prolongation d’une rétention administrative, de mieux contrôler les frontières et par conséquent, entre autres, de renforcer l’agence Frontex. Saluant à nouveau l’action de ses prédécesseurs, le pacte asile-immigration « doit être mis en place sans délais », a-t-il déclaré.
La France continuera aussi longtemps que nécessaire de rétablir des contrôles aux frontières.
Continuité dans le soutien à l’Ukraine, solution à deux États au Proche-Orient
« J’en appelle à toutes les forces politiques », a lancé M. Barnier, au moment d’évoquer son dernier chantier, « la fraternité ». Et ce à travers la pratique du sport, une « clé » du fait par exemple de « l’apprentissage des règles du jeu », ou du souci de la santé d’autrui, ou encore du regard sur le handicap. Sport, mais aussi culture, et derrière tout cela le bénévolat, l’associatif.
« Être fraternel, c’est savoir accompagner les personnes en fin de vie », a-t-il suggéré, au moment d’en venir au lien intergénérationnel. Et de surprendre, sans aucun doute, son auditoire, en s’engageant à remettre le sujet de la fin de vie sur la table « au début de l’année prochaine ». Année prochaine, c’était peut-être là l’astérisque, pour un gouvernement à la durée de vie inconnue.
Michel Barnier a terminé son discours de politique général par une considération d’ordre international : « Tenir compte du monde qui nous entoure ». « L’influence française ne tombe pas du ciel, ne se décrète pas », estime le Premier ministre, mais « se cultive ». Il propose donc que la France défende ses intérêts, se sentira visé qui voudra, « sans arrogance ».
Au-delà de cette posture, le chef du gouvernement le promet, « la France restera aux côtés du peuple ukrainien », et restera « active au Proche et Moyen-Orient ». « La clé de la stabilité et de la paix dans cette région, durable pour tous ceux qui sont là ; cette clé repose sur une solution à deux États », a-t-il clarifié, concernant le conflit autour des Territoires palestiniens.
La séance du jour s’est ensuite poursuivie avec les traditionnels discours des présidents des différents groupes politiques, qui sont désormais onze. À commencer par celui de Marine Le Pen pour le RN, puis celui de Gabriel Attal pour l’ancienne majorité. Avant ceux de Mathilde Panot pour LFI, ou encore de Boris Vallot pour le PS. L’occasion de mesurer pleinement l’immense précarité du gouvernement Barnier, qui ne tient, de fait, qu’à un fil.