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RFI 🔵 Guerre IsraĂ«l-Hezbollah: l’armĂ©e libanaise, acteur marginal du conflit

Sous-équipée, soumise à une forte influence américaine et régie par de délicats équilibres politiques et confessionnels internes, l’armée libanaise est aujourd’hui un acteur marginal dans la guerre en cours entre le Hezbollah et l’armée israélienne.

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De notre correspondant Ă  Beyrouth,

« Une armĂ©e qui Ă©vacue ses positions au lieu de dĂ©fendre la frontière face Ă  une invasion ennemie… Je n’en crois pas mes oreilles Â», gronde Salem. Ce commerçant d’une cinquantaine d’annĂ©es a fui avec sa famille la ville de SaĂŻda, Ă  45 kilomètres au sud de Beyrouth, « après le massacre (le 28 septembre) par des avions israĂ©liens de dizaines de civils Ă  AĂŻn el-Delb Â», Ă  l’est de cette ville Ă  majoritĂ© sunnite. Ce raid meurtrier a semĂ© la panique Ă  SaĂŻda, oĂą un vaste mouvement de dĂ©part des habitants a Ă©tĂ© signalĂ©.

« L’armĂ©e s’est transformĂ©e en agence de presse tout juste bonne Ă  nous raconter que les IsraĂ©liens sont entrĂ©s de 400 mètres en territoire libanais avant de se retirer peu après », renchĂ©rit son Ă©pouse en levant le bras vers le ciel en signe d’impuissance. L’annonce du « retrait Â» de l’armĂ©e de ses postes d’observation Ă  la frontière après les menaces israĂ©liennes d’une opĂ©ration terrestre a provoquĂ© la colère de beaucoup de Libanais.

La dĂ©ception exprimĂ©e sur les rĂ©seaux et dans certains mĂ©dias a poussĂ© l’armĂ©e Ă  faire paraĂ®tre, le 1er octobre, un communiquĂ© Ă©voquant un « redĂ©ploiement Â» et non pas un « retrait Â». « Avec la poursuite des agressions sauvages de l’ennemi israĂ©lien contre les diffĂ©rentes rĂ©gions libanaises, certains articles de presse ont publiĂ© des informations imprĂ©cises sur un retrait de plusieurs kilomètres de l’armĂ©e de ses positions frontalières, alors que l’ennemi se prĂ©pare Ă  lancer une opĂ©ration terrestre Ă  l’intĂ©rieur du Liban, indique le texte. Le commandement de l’armĂ©e tient Ă  prĂ©ciser que les unitĂ©s militaires prĂ©sentes dans le sud procèdent Ă  un redĂ©ploiement (Ă©vacuation) de certains postes d’observation avancĂ©s (vers d’autres positions) dans le cadre des responsabilitĂ©s qui lui sont assignĂ©es Â».

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L’armĂ©e libanaise dĂ©ploie entre le fleuve Litani et la frontière entre 4 000 et 5 000 hommes, conformĂ©ment aux dispositions de la rĂ©solution 1701 du Conseil de sĂ©curitĂ©, qui a mis un terme Ă  la guerre de juillet-aoĂ»t 2006, entre le Hezbollah et l’armĂ©e israĂ©lienne.

Redéploiement à six kilomètres de la frontière

Ces explications n’ont pas convaincu tout le monde, y compris le dĂ©putĂ© Jamil Sayyed. Cet ancien numĂ©ro 2 des renseignements militaires puis directeur de la SĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale Ă  l’époque de la tutelle syrienne a soulignĂ© le « tollĂ© Â» et les « protestations Â» qui ont suivi l’annonce du « redĂ©ploiement Â». Il a rĂ©vĂ©lĂ© que l’armĂ©e s’apprĂŞterait Ă  opĂ©rer un nouveau « repositionnement Â» de ses troupes Ă  « une distance de six kilomètres de la frontière Â».

« Ceux qui critiquent l’armĂ©e parce qu’elle ne fait pas face Ă  l’invasion israĂ©lienne sont de mauvaise foi, tempère Joe Baroudi, un Ă©lectricien d’une quarantaine d’annĂ©es. Ce serait un suicide garanti, car tout le monde sait qu’elle est sous-Ă©quipĂ©e et manque d’effectifs Â». « Les AmĂ©ricains et les Occidentaux n’ont jamais voulu nous livrer un matĂ©riel militaire de pointe sous prĂ©texte qu’ils craignent qu’il ne tombe entre les mains du Hezbollah. Ils se moquent de qui ? L’arsenal du parti est de loin plus important que celui de l’armĂ©e. Il n’en a pas besoin. La vĂ©ritĂ© est que leur souci a toujours Ă©tĂ© de garantir et de prĂ©server la supĂ©rioritĂ© militaire israĂ©lienne Â», explique un ex-ministre libanais qui a requis l’anonymat.

L’armée libanaise dépend presque entièrement des États-Unis pour son armement. Cette dépendance s’est accrue depuis le retrait, en 2005, de la Syrie qui fournissait au Liban de l’équipement russe. La crise économique et financière qui frappe le pays depuis 2019 a eu des conséquences désastreuses sur l’armée. Les salaires des officiers sont tombés à l’équivalent de 80 dollars et ceux des soldats à 20 dollars. Beaucoup ont quitté les rangs de l’armée ou ont même déserté, provoquant une hémorragie des effectifs.

Pour empêcher l’effondrement total de l’institution militaire, les États-Unis ont poursuivi les livraisons d’armes et de munitions et ont demandé à leurs alliés d’aider l’armée libanaise comme ils le pouvaient. De nombreux pays arabes et européens ont fourni des dizaines de milliers de rations alimentaires, d’autres des équipements médicaux et des médicaments. Le Qatar, lui, a offert en 2022 la somme de 60 millions de dollars pour payer les salaires des militaires. Le soutien financier apporté par cette pétromonarchie du Golfe s’est poursuivi les années suivantes.

Déséquilibre confessionnel

Ce vaste programme d’aide est cependant à double tranchant. Il a certes empêché l’effondrement de l’armée, mais a considérablement accru l’influence des États-Unis au sein de l’institution militaire. Celle-ci reste malgré tout soumise à de délicats équilibres politiques et confessionnels qui, s’ils sont rompus, risquent de provoquer son éclatement. L’armée est ainsi toujours dirigée par un commandant en chef maronite, qui dispose de vastes pouvoirs. Il est cependant secondé par le chef d’état-major, de confession druze, et par le Conseil militaire, composé à égalité d’officiers chrétiens et musulmans.

La corruption en moins, l’armĂ©e est, en quelque sorte, le miroir du système politique libanais basĂ© sur une rĂ©partition des postes politiques, administratifs, judiciaires et militaires sur des bases communautaires. Une telle structure est forcĂ©ment fragile en raison du droit de vĂ©to dont disposent les chefs politiques des grandes communautĂ©s, notamment les maronites, les chiites et les sunnites. Le commandement de l’armĂ©e est contraint de respecter les Ă©quilibres confessionnels et les rapports de force politiques dans le pays afin de prĂ©server la cohĂ©sion de l’institution et empĂŞcher son Ă©clatement, comme cela s’est produit au dĂ©but de la guerre civile (1975-1990). Le programme d’aide soutenu par les AmĂ©ricains a aussi freinĂ© l’hĂ©morragie. Après des campagnes d’enrĂ´lement ces deux dernières annĂ©es, les effectifs sont remontĂ©s Ă  45 000-50 000 hommes, après ĂŞtre tombĂ©s Ă  moins de 30 000.

Cependant, un nouveau problème est apparu. Le commandant en chef, le général Joseph Aoun, a déploré, lors d’une rencontre avec des journalistes il y a quelques mois, le fait que les chrétiens ne sont plus enthousiastes à s’enrôler dans l’armée, ce qui accentue le déséquilibre confessionnel dans ses rangs. L’équilibre est relativement préservé au niveau des officiers, mais une large majorité de sous-officiers et de soldats sont désormais musulmans.

Bien que respectĂ©e par une majoritĂ© de Libanais et mĂ©nagĂ©e par les principales forces politiques, y compris le Hezbollah, une armĂ©e soumise Ă  toutes ces contraintes n’est pas capable de faire face Ă  une invasion du territoire par l’armĂ©e israĂ©lienne. Son rĂ´le reste cependant crucial pour prĂ©server l’unitĂ© du pays et la paix civile, surtout dans les circonstances actuelles. Et elle tente de remplir cette mission. Après la multiplication des frictions entre des habitants de certaines rĂ©gions et des dĂ©placĂ©s chiites, elle s’est dĂ©ployĂ©e, le 29 septembre, sur l’ancienne ligne de dĂ©marcation qui coupait Beyrouth en deux durant la guerre civile et devant certains points nĂ©vralgiques du pays. « L’ennemi israĂ©lien tente de mettre en Ĺ“uvre un plan de destruction et de semer la division parmi les Libanais Â», a prĂ©venu un communiquĂ© militaire.

« Si le Liban survit Ă  cette guerre et que l’armĂ©e parvient Ă  prĂ©server la paix civile, elle aura un rĂ´le plus important Ă  jouer Ă  l’avenir. Son chef n’est-il pas un candidat non dĂ©clarĂ© Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique ? Â», conclut l’ancien ministre.

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