RFI 🔵 France: la surpopulation carcérale ne cesse de battre des records
Jamais les prisons françaises n’ont enregistrĂ© un si grand nombre de dĂ©tenus avec le chiffre record de 80 130 personnes incarcĂ©rĂ©es pour 62 357 places au 1er novembre, selon des chiffres obtenus vendredi 29 novembre auprès du ministère de la Justice. Mal endĂ©mique français, la surpopulation carcĂ©rale ne cesse de battre des records mois après mois.
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Triste record que la France bat une nouvelle fois. La surpopulation dans les prisons ne cesse d’augmenter depuis deux ans. La densitĂ© carcĂ©rale globale Ă©tait de 128,5% au 1er novembre 2024. Cette densitĂ© carcĂ©rale dĂ©passe 200% dans plus d’une dizaine d’Ă©tablissements et atteint 155,1% en maison d’arrĂŞt, oĂą sont incarcĂ©rĂ©s les dĂ©tenus en attente de jugement et donc prĂ©sumĂ©s innocents, et ceux condamnĂ©s Ă de courtes peines.
« Cela veut dire 3-4 personnes entassĂ©es dans des cellules de 9 m² prĂ©vues en principe pour une personne, 4 000 d’entre elles dorment sur des matelas Ă mĂŞme le sol, alerte Jean-Claude Mas, prĂ©sident de l’Observatoire international des prisons interrogĂ© par AmĂ©lie Beaucour du service France de RFI. Cette surpopulation accentue la vĂ©tustĂ© et la salubritĂ©, qui est dĂ©jĂ emblĂ©matique des Ă©tablissements pĂ©nitentiaires, et qui rĂ©duit aussi quasi Ă nĂ©ant les possibilitĂ©s d’accompagnement et d’accès au droit des personnes. »
« C’est un record inĂ©galĂ© », confie une source au ministère de la Justice Ă l’AFP, en dĂ©plorant le franchissement du seuil de 80 000 dĂ©tenus. Parmi les personnes incarcĂ©rĂ©es, 20 831 sont des prĂ©venus, en dĂ©tention dans l’attente de leur jugement dĂ©finitif. Au total, 96 569 personnes Ă©taient placĂ©es sous Ă©crou au 1er novembre. Parmi elles, on compte 16 439 personnes non dĂ©tenues faisant l’objet d’un placement sous bracelet Ă©lectronique ou d’un placement Ă l’extĂ©rieur.
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Des mesures ont pourtant Ă©tĂ© prises pour tenter de remĂ©dier Ă ce problème, comme l’interdiction des peines de prison de moins d’un mois, l’amĂ©nagement des peines ou encore le dĂ©veloppement de travaux d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral.
Retard sur la construction de nouvelles places
Ces nouveaux chiffres désastreux quant à la surpopulation carcérale arrivent alors que le ministre de la Justice, Didier Migaud a averti que la mise en œuvre du plan de construction de 15 000 places de prisons supplémentaires, promises par Emmanuel Macron en 2017, ne pourra être honorée dans les délais. Elles étaient prévues d’ici 2027, pour le moment 4 500 ont été livrées.
AuditionnĂ© devant la commission des lois du SĂ©nat concernant le budget de la Justice pour 2025, le garde des Sceaux a insistĂ© sur les « difficultĂ©s » rencontrĂ©es « dans le calendrier des grandes opĂ©rations de construction », affirmant que seuls 42% des 15 000 nouvelles places de prison devraient ĂŞtre opĂ©rationnelles en 2027, soit 6 421, « si tout se passe bien ». « L’achèvement du « plan 15 000″ ne sera pas possible opĂ©rationnellement avant 2029, dans le meilleur des cas », a-t-il prĂ©cisĂ©.
En attendant que ce plan « absolument nĂ©cessaire » aboutisse, une source au ministère de la Justice interrogĂ©e par l’AFP a Ă©voquĂ© « la rĂ©habilitation d’Ă©tablissements pĂ©nitentiaires dĂ©sarmĂ©s », « la construction de structures modulaires » comme en Belgique ou en Allemagne ou encore « la conversion de bâtiments publics non utilisĂ©s ». Didier Migaud vient de lancer trois missions d’urgence, dont une concerne l’univers carcĂ©ral.
« La prison est nĂ©cessaire, elle est lĂ pour punir et protĂ©ger les citoyens, mais l’incarcĂ©ration doit se faire dans des conditions sĂ©curisĂ©es pour les agents et dignes pour les dĂ©tenus », a expliquĂ© le garde des Sceaux. Face Ă la surpopulation carcĂ©rale, il faut « envisager tous les outils possibles » dont des « mesures alternatives Ă l’incarcĂ©ration pour les infractions de faible gravitĂ© ».
Appels à des réformes de fond
Fin octobre, l’Observatoire international des prisons et une trentaine d’autres organisations dont le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et le Conseil national des barreaux ont plaidĂ© dans un texte commun pour des « rĂ©formes de fond visant Ă rĂ©duire le recours Ă l’incarcĂ©ration et sa durĂ©e, fondĂ©es sur un changement de regard de la sociĂ©tĂ© ».
« La prison ne doit plus ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme la rĂ©fĂ©rence du système pĂ©nal, et ses alternatives, loin d’ĂŞtre symboliques, doivent se substituer Ă l’enfermement », ont souhaitĂ© les organisations signataires. Elles insistent sur l’urgence de repenser la politique pĂ©nale et pĂ©nitentiaire, alors que « cela fait 24 mois que nous vivons des taux de prĂ©occupation record après record », souligne le prĂ©sident de l’OIP, au micro de RFI.
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Et rien ne laisse prĂ©sager de quelconques progrès en la matière, au contraire, dĂ©plore Jean-Claude Mas. « Pour l’instant, il n’y a aucun changement significatif qui laisse Ă montrer que la situation pourrait s’amĂ©liorer. On voit qu’il y a un certain nombre de propositions de lois qui vont dans l’autre sens, avec une volontĂ© de faire en sorte que les courtes peines, par exemple, puissent ĂŞtre complètement rĂ©alisĂ©es en prison. Donc non, on est plutĂ´t dans une logique de surenchère sĂ©curitaire et rĂ©pressive qui n’est pas du tout encourageante du point vu de ce que ça peut signifier en termes de sur-incarcĂ©ration et de surpopulation carcĂ©rale. »
Une « réinsertion impossible »
Afin d’améliorer la situation, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL ) Dominique Simonnot propose depuis 2018 l’« inscription dans la loi d’un dispositif de régulation de la population carcéral ». Ce qui pourrait se traduire notamment par le réexamen des dossiers à quelques mois de la fin de la peine par le juge, avec les services de réinsertion et de probation, pour envisager la sortie d’un détenu encadrée par ces mêmes services. Ce qui éviterait les sorties « sèches », c’est-à -dire sans aucune aide, pour privilégier des sorties « avec quelqu’un qui veille sur vous et votre dossier. »
Mais rien n’a été fait en ce sens, et le gouvernement préfère se concentrer sur la création de nouvelles places plutôt que sur la réinsertion des détenus, pourtant la priorité selon les organisations de défenses des droits de l’homme.« La prison est aussi là pour réinsérer et cette réinsertion est impossible, dénonçait Dominique Simonnot dans un entretien à RFI l’année dernière. D’abord parce que, le personnel médical et de surveillance est contingenté selon le nombre de places théoriques d’une prison et non selon le nombre réel des résidents de la prison. » Mais aussi parce que « les ateliers, les activités d’enseignements et d’apprentissage sont inaccessibles à cause du monde », pointe la CGLPL.
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« Cette surpopulation va emboliser tous les compartiments de vie au quotidien en milieu carcĂ©ral : l’accès aux soins, l’accès aux activitĂ©s, Ă une formation, Ă un travail, confirme le prĂ©sident de l’Observatoire international des prisons. Donc, comment espĂ©rer que les personnes puissent vĂ©ritablement engager des parcours de rĂ©insertion quand elles sont Ă ce point maltraitĂ©es, quand elles sont traitĂ©es avec une telle indignitĂ© et qu’elles subissent une atteinte rĂ©pĂ©tĂ©e Ă leurs droits les plus Ă©lĂ©mentaires ? »
Ă€ la mi-mars, le Conseil de l’Europe a exprimĂ© sa « profonde prĂ©occupation » Ă propos de la surpopulation carcĂ©rale chronique française. L’institution a invitĂ© les autoritĂ©s françaises à « examiner sĂ©rieusement et rapidement l’idĂ©e d’introduire un mĂ©canisme national contraignant de rĂ©gulation carcĂ©rale ». Selon une Ă©tude publiĂ©e en juin par cette organisation de dĂ©fense des droits de l’homme, la France figure parmi les mauvais Ă©lèves en Europe en termes de surpopulation carcĂ©rale, en troisième position derrière Chypre et la Roumanie.