OUEST-FRANCE 🔵 Influenceur expulsé, visas… 4 questions sur l’escalade des tensions entre la France et l’Algérie
Que se passe-t-il entre la France et l’Algérie ? Depuis plusieurs jours, le torchon brûle entre les diplomaties des deux États, sur fond de multiples interpellations et d’expulsion refusée. On fait le point sur la situation en quatre questions.
1. Pourquoi la tension s’accentue entre Paris et Alger ?
Ces derniers jours, plusieurs influenceurs franco-algériens ont été interpellés sur le sol français en raison de vidéos postées sur le réseau social TikTok, qui relayaient des appels à la haine contre des opposants au régime algérien.
L’un d’eux, « Doualemn », a été arrêté le 5 janvier à Montpellier (Hérault), où il résidait, après qu’il a publié une vidéo dans laquelle il appelait à la violence contre un manifestant algérien anti-régime. Deux jours plus tard, l’homme de 59 ans a été placé en centre de rétention administrative (CRA) à Nîmes (Gard), puis il a été expulsé vers l’Algérie le 9 janvier.
Problème : Alger l’a « interdit de territoire » , selon le ministère français de l’Intérieur. « Mon client a été refusé par les autorités algériennes. Il est donc dans un vol retour vers Paris », a déclaré dans un message à l’Agence France-Presse (AFP) Me Jean-Baptiste Mousset, son avocat.
Le gouvernement français a « précipité son expulsion » pour éviter qu’elle « puisse être examinée par un juge », avait précédemment regretté l’avocat, dénonçant les « moyens exceptionnels » mis en œuvre pour « bâillonner » son client, qui devait être jugé à Montpellier le 24 février.
« On a atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant », s’est alarmé le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, vendredi 10 janvier. « L’Algérie cherche à humilier la France » , a-t-il dénoncé, ajoutant que Paris « ne peut pas supporter cette situation ».
2. Dans quel contexte intervient cette montée des tensions ?
Les relations entre Paris et Alger étaient déjà loin d’être au beau fixe. Alors que le président français Emmanuel Macron avait entamé en 2022 un « rapprochement » avec l’Algérie sur « la question du passé colonial », les sujets de tensions se sont accumulés entre les deux pays, partenaires au niveau économique et sécuritaire.
Selon plusieurs opposants algériens en France, interrogés par l’AFP, les messages de haine se sont intensifiés après que la France a changé de doctrine sur le Sahara occidental. Cette ex-colonie espagnole, au statut non défini à l’Onu, est le théâtre d’un conflit depuis un demi-siècle entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger.
Le président Emmanuel Macron s’est aligné, fin juillet, sur l’Espagne et les États-Unis, estimant que l’avenir du Sahara occidental s’inscrivait « dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Ce qui a causé un réchauffement avec Rabat et une nouvelle crise avec Alger, qui n’entretient plus de relations diplomatiques avec son voisin depuis 2021.
Autre point de crispation : l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, incarcéré depuis mi-novembre en Algérie pour « atteinte à la sûreté de l’État » et dont l’état de santé s’est dégradé.
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« L’Algérie que nous aimons tant et avec laquelle nous partageons tant d’enfants et tant d’histoires entre dans une histoire qui la déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner. Ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est », avait dit Emmanuel Macron devant les ambassadeurs français réunis à l’Élysée. Une « immixtion éhontée et inacceptable dans une affaire interne algérienne », a réagi le ministère algérien des Affaires étrangères.
Bruno Retailleau a appelé à « évaluer tous les moyens qui sont à notre disposition vis-à -vis de l’Algérie » pour « défendre nos intérêts ». La France n’aura pas « d’autre possibilité que de riposter » si « les Algériens continuent cette posture d’escalade », a renchéri le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot.
Parmi « les leviers que nous pourrions activer » figurent « les visas […], l’aide au développement » ou encore « un certain nombre d’autres sujets de coopération », a-t-il détaillé sur la chaîne LCI .
De son côté, l’ex-Premier ministre Gabriel Attal appelle à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968, pour « poser les limites et assumer le rapport de force avec l’Algérie ». Négocié à l’époque par Abdelaziz Bouteflika, alors ministre algérien des Affaires étrangères, ce texte confère un statut particulier aux Algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi en France, en relevant les quotas d’immigration et en assouplissant les conditions de leur entrée sur le territoire.
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Mais plusieurs avenants l’ont vidé d’une grande partie de sa substance et les règles concernant l’arrivée des Algériens en France sont aujourd’hui largement calquées sur les dispositions applicables aux étrangers hors Union européenne.
En déplacement à Nantes (Loire-Atlantique), siège du service central d’État civil, Bruno Retailleau a aussi annoncé qu’il souhaitait à l’avenir que la France délivre « moins de visas ».
« Les visas, bien sûr, c’est un élément de l’influence de la France, mais c’est aussi un élément de la maîtrise de l’immigration », a-t-il déclaré. Le ministre de l’Intérieur a plaidé pour « qu’on puisse surveiller de très très près les 20 postes consulaires qui sont à l’étranger et qui distribuent l’essentiel du nombre des visas pour la destination France ».
4. Quelle a été la réaction algérienne ?
Alger a rejeté, ce samedi 11 janvier, les accusations « d’escalade » et « d’humiliation » de la France, et a dénoncé une « campagne de désinformation » à l’encontre de l’Algérie.
« L’Algérie n’est, d’aucune façon, engagée dans une logique d’escalade, de surenchère ou d’humiliation », a affirmé le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué relayé par l’AFP.
« L’extrême droite revancharde et haineuse, ainsi que ses hérauts patentés au sein du gouvernement français, mènent actuellement une campagne de désinformation, voire de mystification, contre l’Algérie », a-t-il ajouté.
Le ministère algérien précise que face aux « dépassements » et aux « violations des droits acquis » par « Doualemn » sur le territoire français, « la décision algérienne dans cette affaire est animée par le souci de lui permettre de répondre aux accusations qui sont portées contre lui, de faire valoir ses droits et de se défendre dans le cadre d’un processus judiciaire juste et équitable sur le territoire français ».
Alger accuse la France de violer « les dispositions de la Convention consulaire algéro-française » de 1974, soulignant qu’elle « n’a cru devoir informer la partie algérienne ni de l’arrestation, ni de la mise en garde à vue, ni de la détention, ni encore de l’expulsion du ressortissant en cause ».
Pour la diplomatie algérienne, l’expulsion de « Doualemn » est « arbitraire et abusive » et prive cet homme, qui vit en France depuis 36 ans et est marié à une Française, d’un procès en bonne et due forme « qui constitue un rempart contre l’abus de pouvoir ». Une accusation qui ouvre la porte à une nouvelle riposte diplomatique française.