LE MONDE 🔵 « Le retour, enquĂŞte sur SaĂŻf Al-Islam Kadhafi » sur Arte : une Ă©nigme libyenne – Shango Media
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LE MONDE 🔵 « Le retour, enquête sur Saïf Al-Islam Kadhafi » sur Arte : une énigme libyenne

Une photo publiée par la page Facebook de la Haute Commission nationale libyenne le 14 novembre 2021 montre Saïf Al-Islam Kadhafi (à gauche), s’inscrivant pour se présenter aux élections présidentielles de décembre, dans le sud de la Libye, à Sebha.

La scène est mĂ©morable. En ce jour de novembre 2021, SaĂŻf Al-Islam Kadhafi orchestre son retour mĂ©diatique dans une citĂ© du Sud Libyen, oasis cernĂ©e de sable saharien. Lui, le fils du Guide de la rĂ©volution, Mouammar Kadhafi, tuĂ© lors de l’insurrection de 2011, disparu de longues annĂ©es en d’obscures geĂ´les ou caches, le voilĂ  offrant soudain sa silhouette mĂ©tamorphosĂ©e Ă  l’œil d’une camĂ©ra. DrapĂ© dans une ample tunique bĂ©douine, long turban moutarde nouĂ© au front et, surtout, gĂ©nĂ©reuse barbe grise de cheikh, il signe maladroitement – trois doigts lui manquent – un document Ă©lectoral.

L’évĂ©nement est d’importance : SaĂŻf Al-Islam Kadhafi se prĂ©sente Ă  l’élection prĂ©sidentielle en Libye prĂ©vue quelques semaines plus tard. Et qu’importe si le scrutin n’aura finalement pas lieu. L’essentiel est bien lĂ  : le clan Kadhafi, qui avait mis le pays en coupe rĂ©glĂ©e durant quatre dĂ©cennies, est toujours en embuscade. Dans les dĂ©combres d’un pays ravagĂ© par un « printemps Â» qui a mal tournĂ© en chaos milicien, SaĂŻf Al-Islam a repris le bâton familial dont il veut faire un futur sceptre.

Cette fameuse scène du « retour Â» de novembre 2021 ouvre le passionnant documentaire de Martine Laroche-Joubert et Maryline Dumas. A la fois portrait du deuxième fils du colonel Kadhafi et tentative de dĂ©cryptage du rĂ©seau qui accompagne ses ambitions, le film lève un coin du voile sur un des aspects les moins documentĂ©s de l’actuelle Ă©quation libyenne. Un coin du voile seulement, bien sĂ»r, car les zones d’ombre demeurent Ă©paisses. « L’enquĂŞte a Ă©tĂ© bien plus difficile qu’on ne le pensait, avoue Martine Laroche-Joubert. On s’est heurtĂ© Ă  un mur du silence. Â»

Play-boy et jet-setter

Le calcul était que la candidature de Saïf Al-Islam permettrait aisément de décrocher une interview du postulant et un visa sur place à la faveur de la campagne électorale. Or l’annulation du scrutin a ruiné ces espoirs. Ni visa, ni interview, tout s’est refermé, verrouillé à triple tour. Le résultat s’en ressent, privé d’une captation physique du personnage mais surtout de ses soutiens locaux, de son audience réelle auprès d’une population tiraillée, déchirée entre le cruel souvenir du règne Kadhafi et la détestation de l’instabilité post-2011.

Martine Laroche-Joubert et Maryline Dumas n’en ont pas moins persĂ©vĂ©rĂ©, reconstituant pièce par pièce le puzzle SaĂŻf Al-Islam avant la dĂ©chĂ©ance de 2011 comme après. Elles ont retrouvĂ© des proches (un « bras droit Â», un « milliardaire amĂ©ricain Â» et divers « intermĂ©diaires Â») s’exprimant sous le sceau de l’anonymat ou des Occidentaux l’ayant croisĂ© lorsqu’il Ă©tait le visage avenant de la Grande Jamahiriya (« Etat des masses Â»). Car le fils de Kadhafi, play-boy et jet-setter en Angleterre (oĂą il Ă©tait inscrit Ă  la London School of Economics), Ă©tait dotĂ© d’une mission : rassurer les Occidentaux Ă  l’heure oĂą le rĂ©gime de son père voulait se racheter de sa sulfureuse rĂ©putation d’Etat terroriste. Il fallait donc convaincre les auditoires europĂ©ens – plutĂ´t bienveillants – que la Libye se rĂ©formait, qu’elle cheminait Ă  son rythme vers la dĂ©mocratie.

Mythe du retour

Mais la vague des « printemps arabes Â» de 2011 a fait voler en Ă©clats l’illusion et ramenĂ© la Grande Jamahiriya Ă  ses fondamentaux de la violence. Quand SaĂŻf Al-Islam promet fin fĂ©vrier aux rebelles des « rivières de sang Â», il expose Ă  la face du monde la rĂ©alitĂ© de cette fable du rĂ©formisme dont il s’était fait le hĂ©raut. La diatribe lui coĂ»tera cher : une inculpation par la Cour pĂ©nale internationale et la brutale disgrâce après la victoire de la rĂ©volution. Il sauvera pourtant sa peau car la milice qui le dĂ©tient Ă  Zinten, au sud-ouest de Tripoli, en a fait un pion, une carte, un gage, très utile Ă  nĂ©gocier.

Durant toutes ces annĂ©es, le mystère nimbe son sort. Ses geĂ´liers – ou anges gardiens ? – le retiennent loin des regards. On le dit psychiatriquement affectĂ©, en proie Ă  la quĂŞte mystique. Jusqu’à son subit « retour Â», vraisemblablement couvĂ© par les Russes. Une rĂ©apparition Ă©phĂ©mère cependant puisqu’il s’efface Ă  nouveau. Des raisons de sĂ©curitĂ© ? DĂ©tenteur de bien des secrets du rĂ©gime de son père, SaĂŻf Al-Islam a sĂ»rement quelques raisons de prendre garde. Ses « proches Â» n’alimentent pas moins le mythe de son inĂ©vitable retour. « Le discours est prĂŞt, assure l’un d’eux. MĂŞme la couleur de son costume. Â»

Une restauration – Ă©ventuelle – mais dans quel but ? « Venger son clan ou pardonner ? Â», interrogent Martine Laroche-Joubert et Maryline Dumas. Chez SaĂŻf Janus, quel visage l’emporterait ? SpĂ©culation hasardeuse. Mais le simple fait qu’on pose la question donne l’air du temps.

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