LE MONDE 🔵 « C’est Ă  s’en arracher les cheveux d’injustice ! » : une loi sur la discrimination capillaire dĂ©battue Ă  l’AssemblĂ©e – Shango Media
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LE MONDE 🔵 « C’est à s’en arracher les cheveux d’injustice ! » : une loi sur la discrimination capillaire débattue à l’Assemblée

Dans le salon Boucles d’Ebène d’Aline Tacite, à Bagneux (Hauts-de-Seine), en octobre 2017.

A l’âge de 6 ans, Kenza Bel Kenadil a fait son premier dĂ©frisage. Cette première sera le prĂ©ambule de treize ans de lissage, au fer ou Ă  l’aide de procĂ©dĂ©s chimiques. Un moyen pour elle de mettre fin au harcèlement dont elle fait l’objet Ă  l’école en raison de sa texture capillaire : des mains dans ses cheveux ou des stylos introduits sans son accord, des insultes.

Dans le cadre professionnel, elle se souvient notamment de la remarque d’un de ses employeurs : « J’avais les cheveux Ă  moitiĂ© attachĂ©s, comme une collègue aux cheveux raides, et il m’a demandĂ© de rentrer chez moi pour changer de coiffure et cacher mes cheveux, ou alors de ne pas travailler. Â» Aujourd’hui militante contre la discrimination capillaire, Kenza Bel Kenadil s’est promis, il y a sept ans, de ne plus toucher Ă  un lisseur ou un dĂ©frisant. Sur Instagram, oĂą elle est suivie par près de 260 000 personnes, de nombreuses femmes, essentiellement non blanches, se tournent vers elles pour dĂ©noncer les exigences des employeurs quant Ă  leur coupe de cheveux.

C’est pour que soient reconnues ce type d’expĂ©riences que le dĂ©putĂ© Olivier Serva (LibertĂ©s, indĂ©pendants, outre-mer et territoires, Guadeloupe) a portĂ© une proposition de loi. Son texte, qui doit ĂŞtre examinĂ© Ă  l’AssemblĂ©e nationale jeudi 28 mars, prĂ©voit d’inscrire les discriminations relatives Ă  « la coupe, la couleur, la longueur ou la texture des cheveux Â», Ă  la liste des discriminations passibles d’une condamnation dans le code du travail, le code pĂ©nal et le code gĂ©nĂ©ral de la fonction publique.

« Une perception coloniale raciste des corps noirs Â»

Pour le parlementaire, l’adoption de cette loi « permettrait Ă  toutes les victimes de discrimination capillaire de s’appuyer sur l’arsenal lĂ©gislatif et de rappeler qu’en aucun cas un employeur ne doit obliger un salariĂ© Ă  changer sa nature de cheveux Â». Si les discriminations liĂ©es Ă  l’apparence physique sont dĂ©jĂ  considĂ©rĂ©es comme illĂ©gales, Olivier Serva estime que son texte vient prĂ©ciser celles-ci, prenant l’exemple d’un steward d’Air France qui a dĂ» aller jusqu’à la Cour de cassation pour prouver qu’il a Ă©tĂ© discriminĂ© en raison de ses cheveux tressĂ©s – une procĂ©dure judiciaire qui a durĂ© dix ans. M. Serva dit Ă©galement avoir regardĂ© du cĂ´tĂ© des Etats-Unis, oĂą plusieurs Etats ont lĂ©gifĂ©rĂ© prĂ©cisĂ©ment sur cette forme de discrimination.

Mais contrairement aux lĂ©gislations amĂ©ricaines, le texte examinĂ© Ă  l’AssemblĂ©e nationale ne fait pas mention d’un aspect raciste Ă  cette forme de discrimination. « Cette distinction dit quelque chose du contexte français, note DaphnĂ© BĂ©dinadĂ©, doctorante Ă  l’EHESS en ethnologie et anthropologie sociale. Le racisme dans le texte n’est jamais explicite. Or ne parler que de discrimination capillaire, c’est occulter les problĂ©matiques des personnes qui ont des cheveux très discriminĂ©s, soit essentiellement les femmes noires. Â»

« Si cela peut paraĂ®tre trivial pour certains, en France et dans les pays majoritairement blancs, cette discrimination entrave l’accès aux institutions que sont le travail ou l’accès au logement par exemple Â», abonde Douce Dibondo, autrice de La Charge raciale : vertige d’un silence Ă©crasant (Fayard, 270 pages, 20 euros). « Les coiffures sont perçues comme excentriques, non-professionnelles, voire sales, et il faudrait les rendre acceptables Ă  la blanchitĂ© et son idĂ©ologie faussement universelle. L’injonction au cheveu lisse et domptĂ© prend racine dans une perception coloniale raciste des corps noirs Â», estime l’écrivaine.

Des annĂ©es de dĂ©frisages « par assimilation Â»

Aude Livoreil-Djampou, propriĂ©taire du Studio Ana’e, un salon de coiffure parisien spĂ©cialisĂ© dans les cheveux bouclĂ©s, frisĂ©s et crĂ©pus, constate avoir « encore de nombreuses clientes qui font Ă©tat de remarques sur leurs cheveux naturels Â» et entreprennent des processus de lissage. Le salon note toutefois une baisse de ce type de demandes. D’une part en raison de la nocivitĂ© de plus en plus reconnue des produits utilisĂ©s ; d’autre part car de nombreuses femmes ont dĂ©cidĂ© de retourner aux cheveux crĂ©pus.

Après des annĂ©es de dĂ©frisages « par assimilation Â», Fatou N’Diaye, crĂ©atrice en 2007 du blog Blackbeautybag, a ainsi « appris Ă  aimer [ses] cheveux Â» en faisant un « big chop Â», une technique consistant Ă  couper les longueurs dĂ©frisĂ©es sur les cheveux crĂ©pus pour une transition capillaire. « C’était une manière de dire au monde que mes cheveux n’ont pas besoin d’être cachĂ©s, plaquĂ©s ou lissĂ©s pour que je sois dĂ©sirable ou intelligente et surtout de me dĂ©faire de l’hĂ©ritage du colonialisme qui nous a fait dĂ©tester nos cheveux Â», confie celle qui est devenue influenceuse et consultante auprès de grandes marques de cosmĂ©tiques et de luxe.

NĂ©anmoins cette affirmation de soi peut comporter des risques, « selon le cadre professionnel dans lequel on exerce Â», pour DaphnĂ© BĂ©dinadĂ©. Finalement, « s’affirmer [c’est aussi prendre le risque] de ne pas dĂ©crocher de travail ou d’appartement Ă  cause d’un dĂ©lit de faciès Â», abonde l’autrice Douce Dibondo. « C’est Ă  s’en arracher les cheveux d’injustice ! Â», dĂ©nonce-t-elle. Des situations auxquelles le texte d’Olivier Serva, mĂŞme s’il est adoptĂ©, aura bien du mal Ă  mettre fin.

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