LE MONDE 🔵 A Goma, dans l’est de la RDC, la guerre si loin si proche
Dans deux heures, la « petite barrière » marquant à Goma la frontière entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda se fermera. Un flot ininterrompu de piétons slalome encore entre les flaques d’eau. Des êtres musculeux poussent des charrettes à bras surchargées de sacs et de cartons amoncelés comme un défi aux lois de la gravité. Ils viennent de Gisenyi, ville rwandaise jumelle de Goma. Shampoing ougandais, biscuits tanzaniens, lait rwandais, haricots du Kenya, chaussures chinoises et autres produits asiatiques débarquées au port de Mombasa sont déchargés des semi-remorques stationnés côté rwandais avant d’être convoyés à la main par une armée de porteurs… Des tonnes de marchandises franchissent ainsi quotidiennement le point de passage, véritable cordon ombilical alimentant les habitants de Goma ; irriguant la province du Nord-Kivu et bien au-delà , jusqu’à Lubumbashi, à près de 2 000 km.
Ici, le pouls commercial entre les deux pays bat à cent à l’heure. Rien n’indique que le Rwanda et la RDC vivent la plus grave crise diplomatique et sécuritaire que les deux pays ont connue depuis des années. Dans cette ville, dont la population est estimée entre 1 et 2 millions d’habitants, rien ne fait penser à la guerre, si ce n’est un horaire d’ouverture de la frontière un peu resserré. « La fermeture des postes de douane à 15 heures embête tout le monde, c’est officiellement pour des raisons de sécurité mais ça ne sert à rien », explique un businessman congolais en affaires avec le Rwanda voisin. Il espère un retour prochain à la normale dans le cadre de l’allègement des dispositions liées à l’état de siège décrété dans la province – et en Ituri voisine – depuis mai 2021.

« Sinon, les affaires marchent plutôt bien, on s’approvisionne de l’autre côté de la frontière. A Gisenyi, on est comme chez nous, on a tous des amis ou de la famille là -bas et avec un simple laissez-passer annuel on fait des allers-retours en permanence », explique Vanessa Mulaja. Ce soir en milieu de semaine, cette commerçante, propriétaire d’un magasin de chaussures dans le quartier de Biréré, retrouve ses amis au Saloon. Les murs de ce bar discothèque renvoient les images de dizaines d’écrans géants. Les bouteilles de champagne à 150 dollars scintillent ostensiblement sur les tables d’un nombre non négligeable de clients, dont certains iront ensuite s’encanailler, non loin de là , chez Nthemba, sur de la rumba congolaise.
« Les gens vivent comme si de rien n’était »
Dans les rues, à l’exception du passage épisodique de quelques camions de transport de troupes militaires, on ne décèle aucun signe apparent que, à une dizaine de kilomètres de là , des combats sporadiques opposent depuis novembre 2021 les Forces armées congolaises (FARDC) au Mouvement du 23 mars (M23), un groupe rebelle soutenu par le Rwanda voisin, selon le rapport des experts des Nations unies. Ce conflit est aujourd’hui au cœur des tensions entre le président rwandais Paul Kagamé et son homologue congolais Félix Tshisekedi, qui n’est pas parvenu à pacifier la région avant la présidentielle du 20 décembre. Le chef de l’Etat, candidat à un second mandat, a reconnu qu’une partie des électeurs de la province, qui compte le plus grand nombre de votants dans le pays après Kinshasa, ne pourront pas se rendre aux urnes. « Malheureusement, pour le Rutshuru et le Masisi, je ne crois pas que cela [le vote] pourra se faire. Mais qu’à cela ne tienne, nous allons continuer nos efforts pour libérer ces localités et [y] ramener nos compatriotes », a-t-il déclaré, vendredi 17 novembre, dans une interview à RFI et France 24.
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