FRANCE INFO 🔵 « PrĂ©sence suspecte d’un hĂ©matome Ă la cuisse » : aux Jeux paralympiques 2024, la difficile dĂ©tection du « boosting », le dopage par automutilation
Se casser le gros orteil ou se ligaturer les parties gĂ©nitales peut amĂ©liorer les performances d’athlètes paralysĂ©s, qui ne ressentent pas ces douleurs. Cette pratique extrĂŞmement dangereuse est interdite, mais presque indĂ©tectable.
Face au contrĂ´leur antidopage qui l’attend Ă son arrivĂ©e Ă Paris, fin aoĂ»t, il rechigne. Il Ă©voque un long voyage, le « jet-lag ». Ce para-athlète Ă©tranger voudra bien se soumettre aux prĂ©lèvements urinaires et sanguins, mais « le lendemain, après avoir dormi ». Après quinze minutes de nĂ©gociations, le sportif, dont le nom et la discipline doivent rester confidentiels, accepte finalement de s’y plier. Avait-il quelque chose Ă cacher ? Le temps le dira peut-ĂŞtre, selon le testeur qui nous a rapportĂ© la scène.
Jamais des Jeux paralympiques n’auront Ă©tĂ© autant contrĂ´lĂ©s. Le ComitĂ© international paralympique (IPC), qui coordonne les actions antidopage, prĂ©voit de prĂ©lever 2 700 Ă©chantillons d’ici la fin des Ă©preuves parisiennes, soit une augmentation de 25% par rapport aux Jeux de Tokyo il y a trois ans. EPO, anabolisants, hormones de croissance… La liste des produits recherchĂ©s est la mĂŞme que pour les athlètes valides.
A une exception près : il y a une triche qui ne se dĂ©tecte pas dans les pipettes et qui ne nĂ©cessite aucun mĂ©dicament. Son nom : le « boosting ». Des athlètes handicapĂ©s s’automutilent volontairement pour augmenter leur pression artĂ©rielle, et donc leur frĂ©quence cardiaque, et donc leurs performances. Certains se fracturent le gros orteil, d’autres se glissent des punaises dans les fesses, serrent de manière excessive leurs cuissardes, se ligaturent les parties gĂ©nitales, s’infligent un choc Ă©lectrique… Le catalogue des horreurs est presque sans fin.
Cela se dĂ©roule gĂ©nĂ©ralement juste « avant le dĂ©part d’une Ă©preuve », « avant d’entrer en chambre d’appel ». « Ca se manifeste par des visages très rouges, des visages en sueur, des corps qui tremblent. On voit que la personne n’est pas bien. On se dit qu’elle est en train de faire un malaise », raconte Ă franceinfo un membre du corps mĂ©dical, tĂ©moin de telles scènes ces dernières annĂ©es.
Cette pratique, interdite, concerne essentiellement les tétraplégiques et les paraplégiques, qui ne ressentent pas la douleur infligée en raison de leur handicap. « Chez les sportifs qui ont une lésion plus haute que la septième vertèbre dorsale, la moitié inférieure du corps est épargnée par les douleurs, mais pas par les réactions cardiovasculaires », décrit le médecin de la Fédération française handisport, Frédéric Rusakiewicz. « Toute anomalie au niveau du bassin ou des jambes peut déclencher une réponse de défense du système cardiovasculaire, et donc une augmentation de la pression artérielle dans la partie haute du corps, celle-là même que sollicitent les athlètes pour leurs performances. »
Dans le cadre d’une Ă©tude publiĂ©e en 1994 dans la revue Spinal Cord, des para-athlètes ont en moyenne amĂ©liorĂ© de 9,7% leur temps de course en fauteuil après avoir distendu leur vessie en buvant abondement avant le dĂ©part. Aucune douleur Ă la clĂ©, mais un corps en surchauffe pour rĂ©pondre Ă l’alerte envoyĂ©e par la vessie. « Ce mĂ©canisme est similaire Ă une prise de substance stimulante exogène. Il est donc normal qu’un gain de performance similaire soit attendu », confirme l’Agence mondiale antidopage, sollicitĂ©e par franceinfo.
En 2008, des mĂ©decins travaillant avec l’IPC ont interrogĂ© des para-athlètes sur le recours au « boosting » : sur un total de 60 rĂ©pondants, 10 ont reconnu avoir dĂ©jĂ essayĂ© cette pratique, selon leur rapport remis Ă l’Agence mondiale antidopage (lien en PDF). Quinze ans plus tard, l’Ă©tude n’a jamais Ă©tĂ© remise Ă jour. « Il n’y a pas eu de cas depuis de nombreuses annĂ©es », promet aujourd’hui l’IPC.
En France ? Rien de plus Ă signaler dans les « affaires rĂ©centes« , certifie l’Agence française de lutte contre le dopage. « Je n’en ai jamais vu chez nous », rĂ©pond le mĂ©decin FrĂ©dĂ©ric Rusakiewicz. « Le ‘boosting ?’ Jamais entendu parler de ça », esquive mĂŞme un membre de l’Ă©quipe amĂ©ricaine de basket fauteuil, croisĂ© Ă l’Arena Bercy le 29 septembre après un match contre l’Espagne.
Circulez, il n’y a donc plus rien Ă voir ? Pas tout Ă fait. L’IPC reste vigilant. Chaque discipline prĂ©sente Ă Paris a d’ailleurs fait l’objet d’une Ă©valuation en fonction de son risque en matière de triche. Si le « boosting » ne peut pas ĂŞtre dĂ©tectĂ© lors des contrĂ´les antidopage classiques, les 130 prĂ©leveurs mobilisĂ©s pendant les Jeux ont pour mission d’ouvrir l’Ĺ“il. « On a le devoir de faire remonter les Ă©lĂ©ments suspects », confirme l’un d’eux, Pierre Legagnoux, Ă franceinfo. « Si je remarque quelque chose qui sort de l’ordinaire sur le corps de l’athlète ou dans son comportement, je le notifie par Ă©crit dans un rapport complĂ©mentaire. Par exemple : ‘prĂ©sence suspecte d’un hĂ©matome Ă la cuisse' ». Le « boosting » peut en effet laisser des traces sur le corps.
« Lors du contrĂ´le, on demande Ă l’athlète de soulever ses vĂŞtements jusqu’Ă mi-torse et de descendre son boxer jusqu’Ă mi-cuisses. »
Pierre Legagnoux, préleveur antidopageà franceinfo
Une prĂ©caution absolument nĂ©cessaire, selon lui. « Plusieurs athlètes m’ont parlĂ© du ‘boosting’ pour amĂ©liorer leurs performances. »
En cas de doute ou de comportement Ă©trange, l’IPC peut faire contrĂ´ler la tension artĂ©rielle d’un athlète, « à tout moment et en tout lieu ». « Avant le dĂ©part d’une Ă©preuve, la tension ne doit pas dĂ©passer 16. Si elle dĂ©passe 16, on refait le point quelques minutes plus tard dans la chambre d’appel. Et si jamais elle est reconsidĂ©rĂ©e haute, on met le sportif off », commente un mĂ©decin. En 2008, 37 prises de tension artĂ©rielle ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es pendant les Jeux paralympiques de PĂ©kin. Aucune ne dĂ©passait la limite lĂ©gale, selon l’IPC. Idem Ă Londres, quatre ans plus tard, après 41 relevĂ©s. Les chiffres concernant Rio en 2016 et Tokyo en 2021 ne sont pas disponibles.
Lors d’un « boosting », la tension peut monter jusqu’Ă 25 ou 26, rĂ©vèle FrĂ©dĂ©ric Rusakiewicz, le mĂ©decin de la FĂ©dĂ©ration française handisport. « Il ne faut pas que les athlètes s’amusent Ă faire ça », rĂ©pète-t-il d’un ton grave. « Ca ne va pas dans le sens de la performance, c’est mĂŞme tout l’inverse : c’est un coup Ă mourir ! »
Cette pratique, extrĂŞmement dangereuse, met en effet le sportif en Ă©tat d’hyperrĂ©flexie autonome, une forme d’emballement du corps qui augmente les risques d’attaques cĂ©rĂ©brales ou cardiaques. « Il faut quand mĂŞme ĂŞtre fou pour se mettre aussi mal », commente un para-athlète britannique en fauteuil, croisĂ© sur le Champ-de-Mars, dimanche. « Jouer avec la vie pour quoi ? Un peu de reconnaissance, de gloire et d’argent ? Moi, jamais. Etre aux Paralympiques, ça devrait dĂ©jĂ ĂŞtre une victoire pour nous tous. »
Depuis le dĂ©but des Jeux paralympiques Ă Paris, le prĂ©leveur antidopage Pierre Legagnoux a Ă©tĂ© affectĂ© au triathlon, Ă l’escrime, au taekwondo, ainsi qu’au village des athlètes. Pour le moment, « RAS » : « aucune observation physique particulière » sur le corps des athlètes qu’il a contrĂ´lĂ©s.