FRANCE INFO 🔵 « Le Rendez-vous » : Camille Cottin au théâtre dans le rôle d’une arrière-petite-fille de nazi en transition de genre

C’est un texte coup de poing sur l’éternelle et inaltérable culpabilité d’une Allemande vis-à-vis de la Shoah. Entre Philip Roth et Thomas Bernhard, entre question de genre et humour noir. Cinglant et désespéré.

Deux jambes gainées d’un legging orange flashy s’agitent sur le côté gauche de la scène. Le reste du corps est caché par un magnifique et immense rideau violet et plissé qui envahit le plateau. La voix de Camille Cottin amplifiée va durant une heure et quart dans un monologue sulfureux nous raconter le désir de cette allemande qui veut devenir un homme grâce à la transplantation d’un sexe de Juif. Elle s’adresse au docteur Seligman, qui la prépare pour cette opération. Cuisses ouvertes, elle se confie, elle papote, elle s’énerve, elle désespère. Avec une question : comment régler ses comptes avec les nazis et ce passé ?

Ce personnage est interprété par la Camille Cottin de Dix pour cent ou qui partageait l’affiche du blockbuster Stillwater avec Matt Damon en 2021. Une star de cinéma, mais dans ce toujours mystérieux Théâtre des Bouffes du Nord, c’est la Camille Cottin plus punk et plus proche de Connasse, sa série puis son long-métrage des années 2010, qui parcourt la scène.

Aux Théatre des Bouffes du Nord jusqu au 25 janvier et ensuite en tournée dans toute la France.

Adapté du roman Jewish Cock de Katharina Volckmer, jeune autrice allemande vivant à Londres, le monologue nous embarque dans l’esprit de cette femme qui a deux héritages embarrassants. Son corps n’est pas son genre. Elle est un homme dans un corps de femme. Et elle est allemande. Une jeune femme allemande et le passé nazi de sa nation qui la hante. Jusqu’à ce qu’Adolph Hitler envahisse ses rêves, même érotiques. Et pour accueillir ses confessions, son gynéco, un peu dégarni fera mieux l’affaire que son psychanalyste, un peu trop souriant.

Cela débute ainsi sur la scène des Bouffes du Nord : « Je sais que le moment n’est sans doute pas le mieux choisi pour évoquer ce sujet, Dr Seligman, mais je viens de me rappeler qu’une nuit j’ai rêvé que j’étais Hitler. Ça me gêne horriblement d’en parler, encore maintenant, mais j’étais lui pour de vrai, surplombant une foule de partisans fanatiques, en train de prononcer un discours du haut d’un balcon. Vêtu du fameux uniforme avec le drôle de pantalon bouffant, je sentais la petite moustache au-dessus de ma lèvre supérieure, et ma main droite faisait de grands moulinets en l’air tandis que ma voix mettait tout le monde en transe. » Le ton est donné.

Katharina Volckmer expliquait dans un entretien sur le site En attendant Nadeau cette volonté de se débarrasser de ces identités, de changer de corps pour son héroïne : « Au fond, c’est sa manière à elle de vouloir cesser d’être allemande, envie partagée par beaucoup de ses compatriotes. C’est une identité compliquée, on en est toujours un peu embarrassé, à l’étranger nous sommes gênés lorsque nous nous rencontrons, préférant maintenir l’illusion qu’on n’est plus très allemand. » 

Dans les confessions du personnage qui n’a pas de nom (nous connaissons uniquement son ex, un certain K. affublé de l’initial de Kafka), elle passe au fil de l’eau, de la neige qui tombe de l’autre côté de la fenêtre du cabinet du gynéco au souvenir du ventre horrible de sa mère cousu d’une laide cicatrice due à la césarienne. Elle s’insurge sur la laideur du Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe de Berlin pour divaguer sur les chats qui n’aboient pas.

Parfois elle s’aventure à de tendres moqueries sur les riches, elle qui s’est fait virer de son job pour avoir voulu agrafer l’oreille d’un collègue à même le bureau : « Je crois que c’est pour ça que les gens riches ont toujours cet air particulier, comme s’ils se faisaient mettre avec un gode-ceinture fabriqué sur mesure pendant qu’on s’occupe de repasser leurs draps propres dans la pièce d’à côté. »

À la fin des fins, elle en vient à son trauma d’origine, le récit de son arrière-grand-père, chef de la dernière gare avant Aushwitz durant la Shoah. Tout était en ordre grâce à lui dans la circulation des trains de l’enfer. L’humour noir et la poésie flirtent dans ce confessionnal désespéré.

Camille Cottin passe ainsi de la mélancolie à la colère douce, de la peur de la solitude à l’expression d’un espoir d’une vie meilleure : »Je n’ai pas peur de ce que nous nous apprêtons à accomplir, cela dit, Dr Seligman. Je n’ai pas peur de mourir ou que sais-je encore. Je sais que je peux vous faire confiance, et que la mort est silencieuse. » Elle donne corps à cette femme, elle danse, elle virevolte, elle s’écroule, mime ou se cache. Ce jeu de comédienne donne vie à cette femme, simplement et merveilleusement une incarnation.

À la mise en scène avec Camille Cottin, Jonathan Capdevielle. Il est acteur, marionnettiste, ventriloque, danseur, chanteur. De ventriloque, on devine le travail de la voix de Camille Cottin. Elle nous parle avant que l’on ne la distingue. Le son circule, les timbres muent. De marionnettiste on se dit qu’il l’enferme dans ce grand tissu mauve, la balade sur ce tas de chiffons devenu un corps endormi qui respire joliment, l’allonge offerte au médecin pour enfin, comme le texte l’exige, la libérer au son du tube du groupe de Manchester Oasis. Wonderwall résonne et Camille Cottin repart avec son personnage derrière le rideau mauve.

Le Rendez-vous, adaptation de Jewish Cock de Katharina Volckmer par Camille Cottin et Jonathan Capdevielle, mis en scène par Jonathan Capdevielle, aux Bouffes du Nord (75 010) jusqu’au 25 janvier.