FRANCE INFO 🔵 “La Foudre” de Pierric Bailly : un thriller alpin mĂ©lancolique sur la quĂŞte de soi
Avec ce septième roman, l’écrivain jurassien compose une grande histoire d’amour et d’émancipation sur fond d’une somptueuse ode à la nature.
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L’histoire : InstallĂ© depuis l’enfance dans les montagnes du Haut-Jura oĂą il est devenu berger Ă l’aube de la trentaine, John mène une existence solitaire et contemplative entre ses brebis les mois d’estive dans la vallĂ©e de la Valserine, et les jobs de saisonnier l’hiver en station. Il vit avec HĂ©loĂŻse depuis dix ans, jeune prof d’anglais Ă©nergique et indĂ©pendante. Ils s’aiment simplement, sans bruit et sans Ă©clat. La perspective de leur installation prochaine Ă la RĂ©union l’emballe d’ailleurs de moins en moins. Son attachement organique Ă la vie en altitude avec ses bĂŞtes, au silence des forĂŞts, indissociable de l’amour portĂ© Ă son grand-père disparu, complique les choses.
Un soir d’été au chalet d’alpage, il tombe sur un vieil article de journal laissé là . Il parle d’un ancien camarade de lycée arrêté pour meurtre quelques mois plus tôt, dans la région de Lyon. Il croit d’abord à un homonyme avant de reconnaître Alexandre. Ce copain d’internat avec qui il partageait sa chambre. Un garçon adorable, hyper populaire, plus brillant, plus cultivé que les autres. Ecolo convaincu, végan avant l’heure. Alexandre exerçait une fascination absolue sur lui. Il le vénérait au point de singer son rire, d’adopter sa façon de penser, avant de se détourner de lui par jalousie, suite à une brouille imbécile.
Bouleversé par l’article, John recontacte Nadia, l’épouse d’Alexandre, une fille du coin elle aussi, qu’il décide de soutenir dans l’épreuve. Cette mère de famille brisée vit recluse, attendant le procès de son mari en préventive. Vétérinaire très engagé dans la cause écologiste, Alexandre et sa famille subissaient depuis des années un harcèlement inquiétant de certains chasseurs du village. Un soir, après une énième provocation, Alexandre tue l’un d’eux d’un coup de planche. Comment tout ceci a-t-il pu se produire ?
Le roman dĂ©marre comme un thriller, Ă la première personne. On est dans la tĂŞte de John, aux premières loges de ses Ă©motions, de ses failles. Parce que très vite, l’irruption de ce fait divers tragique dans son quotidien un peu morne, va bousculer sa vie, remettant au premier plan les blessures adolescentes mal cicatrisĂ©es : “Plus je vieillis et plus mon enfance et mon adolescence accroissent leur territoire”, dit John.
Et c’est passionnant d’observer, dans la première moitiĂ© du roman, la manière dont le narrateur va rĂ©agir face Ă l’effondrement de son idĂ©al de jeunesse, Ă l’aune du crime qu’il a commis. A quel moment arrĂŞte-t-on de vouloir ĂŞtre quelqu’un d’autre ? Une brèche s’ouvre en lui, et il se rend compte petit Ă petit de la prison mentale dans laquelle il s’est enfermĂ© pendant des annĂ©es, obsĂ©dĂ© par l’ombre Ă©crasante d’Alexandre. “On se souvient de ce qu’on rate. Enfin je ne sais pas pour les autres, mais moi, ce sont les Ă©checs qui me marquent, tout ce qui n’a pas marchĂ©, tout ce Ă cĂ´tĂ© de quoi je suis passĂ©.”
Au contact de Nadia, dont il devient le confident et l’ami pendant des mois, John se transforme, jusqu’à tomber fou amoureux d’elle. Cette passion va le reconnecter aux Ă©motions de sa prime jeunesse. Avant les dĂ©gâts causĂ©s par l’arrivĂ©e d’Alexandre dans sa vie. “Je me rends compte que je n’ai plus rien vĂ©cu d’aussi important depuis cette Ă©poque, en tout cas d’aussi stimulant, d’aussi passionnel, voilĂ , c’est le mot, la passion, je suis dedans jusqu’au cou. Vivant et amoureux comme jamais. Je relâche toutes mes dĂ©fenses, je ne cherche plus rien Ă contrer ni Ă maitriser, je laisse venir.”
Vient le temps du procès d’Alexandre, sorte de dénouement cathartique de l’histoire, après quoi plus rien ne sera pareil pour John. Le livre prend alors une autre dimension, en forme de chronique sociale où ceux qui s’en tirent le mieux ne sont pas forcément ceux que l’on attend. Pierric Bailly se garde bien de juger ses personnages, et c’est une autre des grandes forces de ce récit au beau style limpide. A l’instar de l’omniprésence de la nature, puissante matrice vers laquelle John revient sans cesse, arpentant sans relâche les immenses forêts d’épicéas, fasciné par les mystères de la vie sauvage.
Apparaît alors en filigrane dans ces passages une réflexion très fine sur la meilleure façon de protéger cet espace. De quel côté faut-il être ? De celui de cette France rurale attachée à ses traditions ou de la radicalité qui parfois tourne mal ? Pierric Bailly ne tranche pas mais on comprend que la première chose à faire est sans doute de commencer par s’abstenir. D’envahir, d’exploiter, de décimer des endroits qui tolèrent l’homme plus que l’inverse. Avec La Foudre, l’auteur réussit également l’exploit de revitaliser cette vieille notion d’enracinement dans un territoire, la transformant en synonyme d’espoir.
“La Foudre”, Pierric Bailly (Editions P.O.L, 458 pages, 24 euros)
Extrait
“Il est quand mĂŞme tard pour appeler, je me rabats sur un SMS. Je dis Ă Nadia que je viens d’apprendre pour Alexandre et que je suis stupĂ©fait, c’est le mot que j’emploie, il ne convient peut-ĂŞtre pas très bien mais j’ai du mal Ă trouver une formule adaptĂ©e. S’il Ă©tait mort ou s’il avait subi un accident, ça viendrait facilement. On sait comment s’adresser Ă l’entourage des victimes, on sait quoi dire Ă ceux qui vont mal, Ă ceux qui souffrent. Mais qu’est-ce qu’on Ă©crit Ă la femme d’un assassin ?” (La Foudre, p.22)