FRANCE INFO 🔵 Jeux paralympiques 2024 : comment l’armĂ©e accompagne les blessĂ©s de guerre vers une carrière de sportif de haut niveau
En situation de handicap après des blessures sur le terrain, d’anciens soldats tentent de se reconstruire par le sport. Un long processus, qui peut parfois dĂ©boucher sur une carrière parasportive et une participation aux Paralympiques.
« Il fallait que je me reprenne en main. C’Ă©tait ça ou en finir. » RĂ©my BoullĂ©, ex-militaire de 36 ans, est devenu paraplĂ©gique après un accident en exercice. Le 4 septembre 2014, son parachute ne s’est pas ouvert et il a heurtĂ© le sol Ă 50 km/h. Son corps et sa carrière se sont brisĂ©s net. « Je n’avais aucun diplĂ´me, j’avais perdu toutes mes passions : l’armĂ©e, le parachutisme et la course Ă pied. »
Il a fallu se reconstruire. RĂ©my BoullĂ© l’a fait par le sport. Après quatre mois sur un lit sans pouvoir bouger, il s’est fixĂ©, en janvier 2015, l’objectif de disputer les Jeux de Rio en paracanoĂ«. Vendredi 6 septembre, près de dix ans après son accident, il entamera ses troisièmes Paralympiques consĂ©cutifs. Et tentera de faire mieux qu’Ă Tokyo, oĂą il avait remportĂ© la mĂ©daille de bronze, dans la catĂ©gorie KL1.
RĂ©my BoullĂ© n’est pas le seul ancien blessĂ© de l’armĂ©e en lice Ă Paris : c’est aussi le cas de Jean-Louis Michaud au tir Ă la carabine, ou encore de Cyrille Chahboune, Guillaume Ducrocq et Thomas Laronce dans l’Ă©quipe de France de volley assis. Autant d’exemples pour l’armĂ©e française qui dĂ©veloppe, depuis dix ans, un programme pour aider les 1 000 blessĂ©s de guerre recensĂ©s par l’armĂ©e de terre sur cette pĂ©riode, physiques comme psychiques, Ă se reconstruire Ă travers le sport. « En plus de permettre d’aborder la prĂ©paration physique des combattants, c’est une façon de constater des progrès après la blessure, de reprendre confiance en soi et de trouver de la fiertĂ© dans le regard de l’autre », rĂ©sume le gĂ©nĂ©ral Paul Sanzey, commissaire interarmĂ©es aux sports militaires et commandant du Centre national des sports de la dĂ©fense (CNSD). InstallĂ© dans la forĂŞt de Fontainebleau (Seine-et-Marne), ce site, « l’Insep des militaires », selon le gĂ©nĂ©ral, est la pierre angulaire de l’accompagnement des blessĂ©s militaires vers la reprise d’une activitĂ© sportive.
« On ne guérit pas les gens, mais on offre, à travers le sport, la possibilité de se retrouver soi-même, en tant qu’homme ou femme qui malgré la blessure se tient debout face à la vie. »
Général Paul Sanzey, commandant du Centre national des sports de la défenseà franceinfo
« On veut montrer aux blessĂ©s qu’ils sont capables de retrouver une activitĂ© physique » par des moyens ludiques, en complĂ©ment des soins, ajoute le commandant Erwan Lebrun, directeur technique des sports militaires. Une première Ă©tape qui doit aider Ă se rĂ©approprier son corps. Elle n’est pas pour autant imposĂ©e par l’armĂ©e, et les blessĂ©s peuvent se rĂ©tablir « autrement », assure le militaire.
Ceux qui veulent aller plus loin peuvent participer aux Rencontres militaires blessures et sports, des stages de quatre semaines organisĂ©s chaque annĂ©e. Elles sont organisĂ©es par la Cellule d’aide aux blessĂ©s de l’armĂ©e de terre depuis 2012, en coordination avec le CNSD, le Cercle sportif de l’institution nationale des Invalides et les autres cellules d’aide aux blessĂ©s des armĂ©es et services. Ces rencontres prĂ©sentent les « nombreuses activitĂ©s adaptĂ©es aux militaires blessĂ©s en situation de handicap, de rĂ©adaptation Ă la pratique sportive et de sensibilisation aux parcours de compĂ©tition », assure le site internet du ministère de la DĂ©fense. « C’est la première fois qu’on [leur] propose une activitĂ© sportive après leur sĂ©jour Ă l’hĂ´pital, dĂ©taille Erwan Lebrun. Il s’agit de redonner confiance aux blessĂ©s dans leur capacitĂ© Ă avoir une activitĂ© physique. »
Il existe Ă©galement des stages plus courts, spĂ©cialisĂ©s sur certaines disciplines, comme le Challenge Ad Victoriam. C’est la dernière Ă©tape avant de vraiment se frotter Ă la compĂ©tition, symbolisĂ©e par les Invictus Games. Ces rencontres multisports, rĂ©servĂ©es aux militaires et aux civils de la dĂ©fense, ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©es par le prince Harry en 2014. Elles ont lieu tous les deux ans. Lors de la dernière Ă©dition, en septembre 2023 Ă DĂĽsseldorf (Allemagne), 21 nations et 550 athlètes Ă©taient prĂ©sents. La dĂ©lĂ©gation française, elle, comptait 22 membres.
Ces Invictus Games sont loin de concurrencer les Jeux paralympiques. « Ils ne travaillent pas sur la compĂ©tition mais sur le collectif, la cohĂ©sion et la fiertĂ© de dĂ©fendre les couleurs de son pays », dĂ©veloppe le gĂ©nĂ©ral Paul Sanzey. Ils permettent de crĂ©er « un temps fort de rassemblement de l’ensemble de militaires qui ont subi des accidents en lien avec leurs activitĂ©s », observe Pierrick Giraudeau, coordinateur du Bureau de la vie de l’athlète au sein de la FĂ©dĂ©ration française handisport.
Cyrille Chahboune et Guillaume Ducrocq, aujourd’hui membres de l’Ă©quipe de France de volley assis, ont suivi ces Ă©tapes. DĂ©ployĂ©s en Irak en 2016 avec les forces spĂ©ciales françaises, en tant que commandos parachutistes de l’air, ils ont tous les deux Ă©tĂ© grièvement blessĂ©s dans l’explosion d’un drone piĂ©gĂ©. Cyrille Chahboune a perdu ses deux jambes, son frère d’armes, une.
En compagnie de RĂ©my BoullĂ©, ils se retrouvent aux Invictus Games de Sydney, en 2018. Cyrille Chahboune participe Ă sept disciplines et remporte une mĂ©daille d’or en voile. La mĂŞme annĂ©e, il intègre, avec Guillaume Ducrocq, l’Ă©quipe de France de volley assis, crĂ©Ă©e en vue des Jeux de Paris. « Quand j’Ă©tais valide et militaire, les Jeux olympiques ne me faisaient pas rĂŞver, j’Ă©tais Ă fond dans mon boulot. Mais [les Paralympiques] sont devenus un objectif sympa Ă atteindre, après la fin de ma carrière », explique Cyrille Chahboune.
Tous les blessĂ©s de guerre ne peuvent pas viser cet objectif. La poursuite d’une carrière sportive entraĂ®ne aussi une classification du handicap et limite le nombre de candidats au haut niveau. Aujourd’hui, l’armĂ©e française recense 20% de blessĂ©s physiques et 80% de blessĂ©s psychiques, parmi lesquels on compte ceux souffrant de syndromes post-traumatiques. Les blessures psychiques ne sont pas un handicap intĂ©grĂ© dans les critères de classification du sport paralympique : contrairement aux Invictus Games, ceux qui en souffrent ne peuvent donc y participer.
Pour toucher du doigt le monde paralympique, les blessĂ©s physiques doivent bien souvent se dĂ©brouiller seuls. « Le CNSD essaie de crĂ©er les ponts avec les diffĂ©rentes fĂ©dĂ©rations, mais sauf erreur de ma part, les quelques qui ont pu faire des compĂ©titions internationales ont plutĂ´t une dĂ©marche individuelle », remarque Jean Minier, directeur des sports au sein du ComitĂ© paralympique et sportif français. DĂ©passer tous ces obstacles nĂ©cessite un mental et une volontĂ© de fer. « Hormis avec le service de santĂ©, l’armĂ©e ne m’a pas aidĂ© : je n’avais pas d’entraĂ®neur quand je me suis qualifiĂ© pour Rio. [MĂŞme] sans l’armĂ©e, j’en serais aujourd’hui au mĂŞme niveau », estime RĂ©my BoullĂ©, qui avait lancĂ© une cagnotte en ligne pour pouvoir s’acheter un bateau afin de s’entraĂ®ner pour les Paralympiques de 2016.
« On a donné une partie de notre âme et de notre corps pour défendre notre pays, c’est dommage qu’on n’ait pas de retour alors qu’on continue à le faire par le sport. »
Cyrille Chahboune, membre de l’Ă©quipe de France de volley assisĂ franceinfo
Sans compter l’aspect financier. « Le parasport ne paie pas », dĂ©plore Cyrille Chahboune, qui a besoin de 30 Ă 40 000 euros de budget annuel pour reprĂ©senter son pays. La retraite et la pension d’invaliditĂ© que lui verse chaque mois l’armĂ©e ne suffisent pas forcĂ©ment et « ne remplaceront jamais mes jambes, ni ce dont j’Ă©tais capable avant la blessure ». Pour subvenir Ă ses besoins, le parathlète doit dĂ©marcher des sponsors. Il peut aussi compter sur des associations comme le Bleuet de France, qui a financĂ© les prothèses de Guillaume Ducrocq et Cyrille Chahboune, et aide actuellement 25 000 autres bĂ©nĂ©ficiaires, dont 5 000 blessĂ©s de guerre ou en mission.
Avant leur blessure, ces militaires avaient des capacitĂ©s physiques « un peu hors norme », estime Erwan Lebrun. Le sport fait partie de l’ADN du soldat. « Ceux prĂ©sents sur le terrain s’entraĂ®nent, ils sont durs au mal et ont un capital physique Ă la base », constate Nicolas Becker, l’entraĂ®neur de l’Ă©quipe de France de paratriathlon. Cyrille Chahboune avait l’habitude de faire deux Ă trois heures de sport chaque matin avant la perte de ses jambes. « En tant que membre des commandos des forces spĂ©ciales, tu te promènes parfois avec 60 kg de paquetage sur le dos, tu sautes en parachute… Le niveau physique Ă©tait largement Ă©quivalent Ă ce qu’on peut trouver dans le haut niveau actuel », dĂ©taille-t-il.
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Mais ces aptitudes physiques indĂ©niables et une meilleure maĂ®trise du stress, en raison du vĂ©cu sur le terrain militaire, ne mènent pas nĂ©cessairement Ă une carrière parasportive. « Des blessĂ©s au sein des forces spĂ©ciales ne font pas forcĂ©ment des champions paralympiques en puissance dès l’annĂ©e suivante », met en garde Pierrick Giraudeau. La FĂ©dĂ©ration handisport ne veut pas brĂ»ler les Ă©tapes. Elle envoie des cadres lors des rassemblements de blessĂ©s militaires, afin d’Ă©mettre des avis et de partager un savoir-faire sur le handicap et le handisport. « On veut ĂŞtre certain que le sportif a bien cheminĂ© pour s’engager dans cette voie de la compĂ©tition », insiste-t-il. Car l’exigence du haut niveau, en termes d’entraĂ®nement, est forte.
L’armĂ©e aussi prĂ©fère rester prudente, la pratique du sport en compĂ©tition impliquant des frustrations en cas d’Ă©chec. « C’est dĂ©jĂ très compliquĂ© d’accepter le handicap et de perdre ses capacitĂ©s de militaire », glisse Erwan Lebrun. « Seule une partie des blessĂ©s voit la compĂ©tition comme un mode de reconstruction, synthĂ©tise le gĂ©nĂ©ral Paul Sanzey, d’autant qu’elle entraĂ®ne de l’absentĂ©isme familial, de la pression pour aller vers la performance, elle peut tourner Ă l’addiction, ce qui n’est pas forcĂ©ment adaptĂ© au parcours de chacun. » Cyrille Chahboune a conscience de ces risques. « La reconstruction par le sport, c’est très bien, mais la compĂ©tition de haut niveau, ça peut dĂ©truire quelqu’un. La pression, la mĂ©daille… Des civils valides ont fait des burn-out », prĂ©vient-il.
« Se projeter sur un projet sportif de haut niveau abouti, c’est s’engager sur deux à trois paralympiades d’entraînement, a minima. »
Pierrick Giraudeau, coordinateur du Bureau de la vie de l’athlète au sein de la FĂ©dĂ©ration française handisportĂ franceinfo
Les institutions ont besoin de temps avant que les programmes, mis en place il y a une dĂ©cennie, dĂ©bouchent « de manière massive vers une transition des militaires blessĂ©s en athlètes paralympiques », plaide Jean Minier. Le commandant Erwan Lebrun, lui, met en avant « une maturitĂ© du dispositif de reconstruction par le sport », avec un personnel dĂ©sormais formĂ© Ă l’encadrement des blessĂ©s.
Avec une nouveautĂ© : l’ouverture, Ă la fin de l’annĂ©e, d’un village des blessĂ©s au CNSD. DotĂ© d’une capacitĂ© permanente de 100 places, il permettra « un accès renforcĂ© et facilitĂ© des blessĂ©s Ă un large panel d’activitĂ©s centrĂ©es sur le sport, depuis la remise en forme physique et psychologique, jusqu’Ă la prĂ©paration de compĂ©titions sportives de haut niveau », assure l’armĂ©e dans un communiquĂ©. Afin de permettre aux futurs blessĂ©s de suivre le sillon tracĂ© par RĂ©my BoullĂ© et les autres. L’ancien commando parachutiste, lui, voit Ă plus court terme. Il rĂŞve d’or Ă Paris, lors de la finale de kayak (KL1) 200m, samedi 7 septembre. « Presque 10 ans jour pour jour après [son] accident. »