CAPITAL 🔵 En période de crise, un manager peut-il choisir de rester silencieux ?

Depuis la défaite de son camp aux élections européennes, Emmanuel Macron semble isolé et affaibli. Le silence qu’il adopte en témoigne, tout comme la perte de contrôle sur son gouvernement. Ce recul rappelle une tendance du management actuel : la difficulté à trouver l’équilibre entre parole et action en période de crise.

Assiste-t-on à un «président-blues» ? Depuis sa défaite aux élections européennes en juin dernier, l’aura d’Emmanuel Macron s’est ternie. Celui qui a promu une hyper-présidentialisation du pouvoir depuis 2017 se retrouve désormais démuni. «Ça fait 7 ans que je travaille comme un fou pour que le pays aille mieux et qu’il avance. Je l’ai pris pour moi, pour cette majorité! Ça ne m’a pas fait plaisir, évidemment que ça m’a touché», a-t-il reconnu, en marge du G7 en Italie, quelques jours après avoir demandé des élections législatives anticipées suite à la dissolution de l’Assemblée nationale.

Après un été difficile, le président de la République a finalement nommé Michel Barnier comme Premier ministre. Cependant, celui qu’on appelle «Jupiter» montre des signes d’affaiblissement. Un proche a récemment révélé: «Il n’a rien imposé sur les noms [des membres du gouvernement]. Barnier n’a rien lâché.»

Dans un contexte politique sans précédent, avec un gouvernement qui s’apparente à une coalition entre le centre libéral et la droite conservatrice, et sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron semble être un manager affaibli et isolé. Selon l’Elysée, le chef de l’Etat souhaite «prendre du recul et n’interviendra plus sur le fond des politiques publiques». Il n’est plus aux commandes de sa «start-up nation» et s’enferme progressivement dans le silence. Un proche du Président a souligné au Point le 29 septembre : «Vous vous rendez compte, ce que c’est pour cet homme qui lisait des notes jusqu’à 3 heures du matin de découvrir que tout est fini ? La cohabitation, c’est bien pour un président qui travaille à mi-temps, comme Mitterrand qui arpentait les quais de Seine. Mais pour quelqu’un qui bosse comme Macron, ça va être le grand vide…»

Ce «dégagement au travail», le monde de l’entreprise le connaît bien. On observe une désaffection croissante pour la fonction de «manager». Selon une étude d’Audencia Business School et BVA, publiée en 2024, seulement 20 % des salariés souhaitent aujourd’hui devenir managers.

Le management muet : le silence au service du pouvoir

La rétention d’information est souvent considérée comme un atout de pouvoir : être «dans le secret des dieux» peut conférer un un statut privilégié au sein de l’entreprise. L’information devient alors un outil de contrôle, et le fait de la conserver permet au manager d’exercer une certaine domination sur ceux qui en sont privés.

«Le principal défi en période de crise est de ne pas se laisser submerger mais d’adopter une approche proactive», explique Pascal Vancutsem, fondateur de coaching et performance. Il recommande de trouver un juste équilibre entre réduire la communication — car il est impossible de tout dire — et garder une parole qui reste rare, mais significative. «Le manager ne peut pas se taire totalement, car la nature humaine est de vouloir interpréter», explique le coach de dirigeants. Il y a donc un «temps de parole, même concentrée, et un temps d’action». La responsabilité du manager est d’harmoniser ces deux temporalités, afin d’éviter que le silence ne génère anxiété et interprétations erronées.

A cela, Pascal Vanctusem ajoute que les entreprises semblent adopter de plus en plus un mode de gestion calqué sur le management d’État, ce qui exacerbe le «court-termisme et réduit le temps de réflexion stratégique». Il critique également cette «réduction du temps de maturité et de prise de recul», qui rend difficile une gestion sereine et durable des crises. Pour reprendre l’exemple d’Emmanuel Macron, «à force de lui avoir fait remarquer qu’il parlait trop, il a fini par se taire», conclut l’expert en management.