20 MINUTES 🔵 Pourquoi l’armée libanaise ne réagit-elle pas aux raids israéliens ?
Un pays envahi, bombardé et une armée régulière absente. L’armée israélienne est entrée dans le sud du Liban ce lundi et y mène des « raids terrestres localisées », explique-t-elle. Elle poursuit ainsi son ambition de destruction des infrastructures et des capacités militaires du Hezbollah dont le chef, Hassan Nasrallah a été tué vendredi dans un bombardement israélien. Et si de « violents combats au sol » opposent Tsahal aux soldats du Hezbollah l’armée régulière libanaise, elle, ne participe pas du tout aux affrontements, en dépit de la violation de l’intégrité territoriale de son pays. Et « juridiquement Israël et le Liban sont toujours en état de guerre », rappelle Jean-Paul Chagnollaud, directeur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient.
« L’armée libanaise s’est déployée dans Beyrouth. J’y ai été au mois de mai et les seuls militaires que j’ai vu traînassaient dans le quartier  » I love Beirut », ce vieux centre entièrement rénové, et à l’aéroport. La route de l’aéroport d’ailleurs a été bombardée, mais ce ne sont pas les militaires libanais qui vont éviter ça, et de toute façon les militaires ont de toute évidence l’ordre d’absolument ne pas intervenir », enchaîne Sébastien Boussois, chercheur à l’université libre de Bruxelles.
« Une armée sans équipement et sous perfusion »
Ce qu’il reste du gouvernement libanais, démissionnaire et sans président depuis 2022, a annoncé repositionner ses troupes au sud du pays, mais n’est absolument pas en capacité de s’opposer aux troupes israéliennes. « L’armée libanaise compte quelques milliers d’hommes [60.000 officiellement], sans équipement et sous perfusion de l’aide internationale pour payer leur solde. Elle est d’une faiblesse structurelle à l’image du pays », résume Jean-Paul Chagnollaud.
Au sud Liban, elle s’est installée sur quelques postes frontières, sans s’opposer à l’entrée de soldats israéliens. Elle coopère également avec les forces de la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban), forte de 10.000 soldats, dont 700 Français, qui ont un simple mandat d’observateurs et sont supposés assurer l’application de la résolution 1.701 du conseil de sécurité des Nations unies, qui date de 2006, et qui prévoit la démilitarisation d’une bande de 30 km entre la frontière Israélienne et le sud Liban.
Mais d’évidence, cette résolution est un échec. Le Hezbollah y est bien implanté et tire régulièrement des roquettes sur le nord d’Israël, contraignant l’État hébreu à évacuer 60.000 habitants du nord de son pays, justifiant par là même son intervention militaire.
Faut-il normaliser le Hezbollah ?
Une situation qui au final pourrait satisfaire certains des dirigeants libanais, ce qui expliquerait également l’inaction de son armée. « Si le sale boulot peut être fait par Israël sans que cela ne coûte une balle au Liban, ils ne sont pas contre », avance Sébastien Boussois. Il poursuit : « Il y a je pense là une opportunité unique pour les Libanais qui, s’ils ne peuvent se débarrasser du Hezbollah, n’ont d’autres choix que de le normaliser et l’intégrer, à l’Etat et à l’armée régulière, comme cela s’était fait dans les Balkans où même à la création de l’Etat d’Israël lorsque ses milices ont été intégrées à l’armée. »
Une perspective, qui nécessiterait une forte coordination de la communauté internationale, que n’envisage pas le professeur Jean-Paul Chagnaullaud : « Israël a tout intérêt à entretenir le chaos, qu’elle pense gage de sécurité, plutôt que de voir un Etat voisin ennemi se structurer, et elle le fait avec la complicité des Etats-Unis. »
« Un territoire sur lequel coexistent des pouvoirs »
Dans ce chaos donc, les seules forces en capacité de s’opposer à Israël restent celles du Hezbollah, soutenues par l’Iran qui a lancé mardi soir une centaine de missiles sur Israël, sans grand dégât. Dans ces conditions, d’un état absent, d’une armée sans capacité, peut-on considérer finalement le Hezbollah comme l’armée régulière libanaise ? Ce serait oublier que le Liban, bien que l’organisation chiite soit la première force politique du pays, repose sur un système confessionnel tripartite avec les sunnites et les chrétiens, très éloignés idéologiquement.
« Le Liban se caractérise par son absence d’Etat. Il s’agit plus d’un territoire sur lequel coexistent des pouvoirs et où une armée étrangère vient imposer sa loi », résume Jean-Paul Chagnaullaud. Présentée ainsi, l’armée régulière libanaise n’est donc qu’une composante de ces pouvoirs présents sur ce territoire, et elle est de loin la moins puissante. « C’est l’armée d’un Etat qui n’en est pas un », conclut Sébastien Boussois.