20 MINUTES 🔵 Comment l’Espagne a « vingt ans d’avance » sur tout le monde en padel
On ne remerciera jamais assez Mme Guerra, inestimable professeure d’espagnol, de nous avoir passionné pour la langue de Cervantès au collège Aliénor d’Aquitaine de Bordeaux. Sans elle, on aurait erré l’âme en peine dans les allées de Roland-Garros, cette semaine, à l’occasion du Paris Padel Major, tant l’antre de la porte d’Auteuil résonne aux sons des « vale, vale », « hostia » ou « muchas gracias ». Même le magazine officiel du tournoi s’est mis à l’espagnol avec une page de pub entièrement dans l’idioma de nos chers voisins pyrénéens.
Cette semaine internationale de l’espagnol n’est pas une petite lubie passagère des organisateurs du tournoi, mais un état de fait. Dans le top 100 mondial de la Fédération internationale de padel, figurent 67 Espagnols (et 20 Argentins) dans le tableau masculin, 75 Espagnoles (et 5 Argentines) chez les femmes. De quoi faire rougir n’importe quel pays qui se prétendrait être roi d’une discipline, comme pourraient l’être le Kenya ou l’Ethiopie pour le fond en athlétisme ou la France pour la mauvaise foi. Alors, comment en est-on arrivé là ?
Infrastructures et encadrement au top
Tout simplement parce que l’Espagne est pionnière en la matière, en Ă©tant l’un des premiers pays, avec l’Argentine, oĂą le padel s’est implantĂ©. Et, contrairement au rugby ou au handball, qui n’ont pas franchement accrochĂ© une masse importante de joueurs, le padel a de suite eu ses fans Ă Madrid, Valence, SĂ©ville ou La Corogne, car « c’est un sport simple, très social, oĂą les hommes et les femmes peuvent jouer sur le mĂŞme terrain, oĂą tu t’amuses et tu peux avoir du succès dès le dĂ©but », raconte Jorge MartĂnez, crĂ©ateur et directeur technique de l’acadĂ©mie M3 Ă Madrid, qui forme joueurs et coachs, et entraĂ®neur de certains des meilleurs joueurs du monde.
Cette explosion du padel à la fin des années 1990 a surtout été très bien encadrée. « En Espagne, ça a commencé chez une partie très élitiste, où l’accès n’était pas universel, reprend Jorge Martinez, puis très vite, des installations municipales, où tout le monde pouvait jouer, ont été créées. » « Le padel s’est développé dans toutes les villes, dans toutes les régions, dans les universités et dans les écoles, ajoute Chema Montes, directeur sportif du club de La Moraleja, à Madrid. Dans chaque ville, il y a des pistes municipales, des pistes publiques. »
Une masse de pratiquants, des installations disponibles, il ne restait plus qu’à trouver les encadrants, qui sont venus dans un premier temps du tennis. « Si tu as de bons techniciens, tu auras de bons joueurs. Si tu n’as pas de bons techniciens, tu n’auras pas de joueurs, c’est la clé du développement du sport », assure Jorge Martinez, dont l’académie, qui possède dix-huit pistes, est reconnue comme l’une des voire la meilleure du monde.
Les Ă©trangers en quĂŞte du savoir-faire espagnol
De fait, aujourd’hui, de plus en plus de gamins s’inscrivent directement au padel sans passer par la case raquette à cordes, à l’image d’Alejandra Salazar, 13e mondiale. « L’avantage que nous avons, c’est qu’on a commencé très tôt le padel, et c’est ce temps qu’essaient de rattraper les autres nations. Avec le temps, cela nous a permis d’avoir beaucoup plus de clubs, plus de gens dédiés, des professeurs, des entraîneurs, et maintenant, nous avons beaucoup plus d’enfants, plus de jeunes, qui se mettent au padel. »
Même sentiment du côté de Miguel Benitez Lara (52e mondial) : « J’ai grandi en jouant au padel, en voyant mes parents pratiquer ce sport. Les meilleures académies et les meilleurs entraîneurs sont situés en Espagne, t’es super bien encadré. L’Espagne est devenue l’épicentre du padel. » A tel point que les meilleurs joueurs (même les Argentins) des autres nations, à l’image des Français Thomas Leygue, Dylan Guichard et Alix Collombon ont fait leurs cartons pour s’inspirer des meilleurs de l’autre côté des Pyrénées.
« La base c’est qu’il y a 6 millions de pratiquants, tu arrives forcément à sortir des champions comme Alejandro Galan ou Juan Lebron. Ils ont des clubs à tous les coins de rue, c’est le deuxième sport le plus populaire en Espagne. Ils ont de vingt ans d’avance. » »
« Si tu veux faire quelque chose, si tu veux t’améliorer rapidement, tu dois aller à l’origine, là où sont les meilleurs entraîneurs, où il y a une méthode qui fonctionne, développe Jorge Martinez. Il y a beaucoup de joueurs français, italiens, suédois, et d’autres pays qui viennent dans mon académie pour passer une saison avec nous. On a même des joueurs amateurs, qui arrivent et vivent une semaine avec tous nos techniciens, avec une méthode qui est très similaire à celle des professionnels, adaptée à leur niveau, et ils côtoient sur la piste d’à côté les meilleurs mondiaux. »
Des joueurs qui bénéficient aussi d’un statut énorme en Espagne, avec une belle exposition médiatique. Il n’est pas rare de voir une page consacrée au padel lors des nombreuses émissions sportives à la télévision. « Ils sont invités sur des plateaux qui sont beaucoup suivis, et puis vraiment, ce sont des stars en Espagne, les Galan, Coello, Lebron, s’ils se promènent dans la rue, on va leur demander beaucoup de photos », sourit Alix Collombon.
Exportations de talents
Le savoir-faire espagnol est tel que la Fédération française de tennis (dont dépend le padel) va recruter quelques techniciens rouge jaune rouge pour son pôle haut niveau. « Les Pays-Bas sont aussi partis là -dessus, tout comme la Fédération britannique, qui est venue chercher des coachs espagnols pour améliorer le niveau des techniciens locaux, ajoute Chema Montes. Je pense que c’est la clé pour que le padel se développe plus rapidement en Europe. Elle doit s’appuyer sur notre expérience pas seulement au niveau sportif mais aussi logistique. »
Et il n’y a pas qu’au niveau encadrement technique que les pays vont chercher des Espagnols. Certains pays n’hésitent plus à nationaliser des joueurs, qui ne figurent pas forcément dans les meilleurs mondiaux, pour se faire une place aux championnats du monde. Comme les Emirats arabes unis, qui ont « recruté » Iñigo Jofre, Arnau Ayats, Fran Jurado et Sergio Icardo. Une décision qui ne fait pas l’unanimité en Espagne, Alejandra Salazar évoquant même une « décision désespérante ». La rançon du succès, sûrement.